Contes Merveilleux Tome II
Alors, la fillette jeta derriere elle un miroir qui donna une montagne de miroirs, mais si brillants, si polis et si lisses que jamais elle ne put s’y tenir et monter dessus.
– Je vais vite rentrer a la maison prendre ma hache, pensa la nixe, et je briserai ce Mont des Glaces.
Mais, le temps qu’elle revienne, les enfants avaient pris le large et s’etaient enfuis bien plus loin, si bien que la dame n’eut plus qu’a s’en retourner vivre dans sa fontaine.
L’Oie d’or
Il etait une fois un homme qui avait trois fils. Le plus jeune avait ete surnomme le Beta et etait la risee de tout le monde. Ses freres le prenaient de haut et se moquaient de lui a chaque occasion. Un jour, le fils aine s’appreta a aller dans la foret pour abattre des arbres. Avant qu’il ne parte, sa mere lui prepara une delicieuse galette aux ?ufs et ajouta une bouteille de vin pour qu’il ne souffre ni de faim ni de soif. Lorsqu’il arriva dans la foret, il y rencontra un vieux gnome gris. Celui-ci le salua, lui souhaita une bonne journee et dit:
– Donne-moi un morceau de gateau et donne-moi a boire de ton vin.
Mais le fils, qui etait malin, lui repondit:
– Si je te donne de mon gateau et te laisse boire de mon vin, il ne me restera plus rien. Passe ton chemin.
Il laissa le bonhomme la ou il etait, et il s’en alla. Il choisit un arbre et commenca a couper ses branches, mais tres vite il s’entailla le bras avec la hache. Il se depecha de rentrer a la maison pour se faire soigner. Ce qui etait arrive n’etait pas le fait du hasard, c’etait l’?uvre du petit homme.
Un autre jour, le deuxieme fils partit dans la foret. Lui aussi avait recu de sa mere une galette et une bouteille de vin. Lui aussi rencontra le petit homme gris qui lui demanda un morceau de gateau et une gorgee de vin. Mais le deuxieme fils repondit d’une maniere aussi desinvolte que son frere aine:
– Si je t’en donne, j’en aurai moins. Passe ton chemin.
Il planta le petit homme la et s’en alla. La punition ne se fit pas attendre. Il brandit sa hache trois ou quatre fois et son tranchant le blessa a la jambe.
Peu de temps apres, le Beta dit:
– Papa, laisse-moi aller dans la foret. Moi aussi je voudrais abattre des arbres.
– Pas question, repondit le pere. Maladroit comme tu es, tu n’iras nulle part.
Mais le Beta insista et son pere finit par ceder:
– Vas-y, mais s’il t’arrive quelque chose, tu recevras une belle correction.
Sa mere lui donna une galette faite d’une pate preparee a l’eau et cuite dans les cendres et une bouteille de biere aigre. Le Beta arriva dans la foret et y rencontra le gnome vieux et gris, qui le salua et dit:
– Donne-moi un morceau de ton gateau et laisse-moi boire de ton vin. J’ai faim et soif.
– Je n’ai qu’une galette seche et de la biere aigre, repondit le Beta, mais si cela te suffit, asseyons-nous et mangeons.
Ils s’assirent et le Beta sortit sa galette qui soudain se transforma en un somptueux gateau et trouva du bon vin a la place de la biere aigre. Ils mangerent et burent, puis le vieux bonhomme dit:
– Tu as bon c?ur et tu aimes partager avec les autres, c’est pourquoi je vais te faire un cadeau. Regarde le vieil arbre, la-bas. Si tu l’abats, tu trouveras quelque chose dans ses racines.
Le gnome le salua et disparut.
Le Beta s’approcha de l’arbre et l’abattit. L’arbre tomba et le Beta apercut entre ses racines une oie aux plumes d’or. Il la sortit, la prit et alla dans une auberge pour y passer la nuit.
L’aubergiste avait trois filles. Celles-ci, en apercevant l’oie, furent intriguees par cet oiseau etrange. Elles auraient bien voulu avoir une des plumes d’or. «Je trouverai bien une occasion de lui en arracher une», pensa la fille ainee. Et lorsque le Beta sortit, elle attrapa l’oie par une aile. Mais sa main resta collee a l’aile et il lui fut impossible de la detacher. La deuxieme fille arriva, car elle aussi voulait avoir une plume d’or, mais des qu’elle eut touche sa s?ur, elle resta collee a elle. La troisieme fille arriva avec la meme idee en tete.
– Ne viens pas ici, que Dieu t’en garde! Arrete-toi! crierent ses s?urs.
Mais la benjamine ne comprenait pas pourquoi elle ne devrait pas approcher, et elle se dit: «Si elles ont pu s’en approcher, pourquoi je ne pourrais pas en faire autant?» Elle s’avanca, et des qu’elle eut touche sa s?ur, elle resta collee a elle. Toutes les trois furent donc obligees de passer la nuit en compagnie de l’oie.
Le lendemain matin, le Beta prit son oie dans les bras et s’en alla, sans se soucier des trois filles qui y etaient collees. Elles furent bien obligees de courir derriere lui, de gauche a droite, et de droite a gauche, partout ou il lui plaisait d’aller. Ils rencontrerent un cure dans les champs qui, voyant ce defile etrange, se mit a crier:
– Vous n’avez pas honte, impudentes, de courir ainsi derriere un garcon dans les champs? Croyez-vous que c’est convenable?
Et il attrapa la benjamine par la main voulant la separer des autres, mais des qu’il la toucha il se colla a son tour et fut oblige de galoper derriere les autres.
Peu de temps apres, ils rencontrerent le sacristain. Celui-ci fut surpris de voir le cure courir derriere les filles, et cria:
– Dites donc, Monsieur le cure, ou courez-vous ainsi? Nous avons encore un bapteme aujourd’hui, ne l’oubliez pas!
Il s’approcha de lui et le prit par la manche et il ne put plus se detacher.
Tous les cinq couraient ainsi, les uns derriere les autres, lorsqu’ils rencontrerent deux paysans avec des beches qui rentraient des champs. Le cure les appela au secours, leur demandant de les detacher, lui et le sacristain. Mais a peine eurent-ils touche le sacristain, que les deux paysans furent colles a leur tour. Ils etaient maintenant sept a courir derriere le Beta avec son oie dans les bras.
Ils arriverent dans une ville ou regnait un roi qui avait une fille si triste que personne n’avait jamais reussi a lui arracher un sourire. Le roi proclama donc qu’il donnerait sa fille a celui qui reussirait a la faire rire. Le Beta l’apprit et aussitot il se dirigea au palais, avec son oie et toute sa suite. Des que la princesse apercut ce defile etrange, les uns courant derriere les autres, elle se mit a rire tres fort.
Le Beta reclama aussitot le mariage, mais le roi n’avait pas envie d’un tel gendre. Il tergiversait et faisait des manieres, pour declarer finalement que le Beta devait d’abord trouver un homme qui serait capable de boire une cave pleine de vin. Le Beta pensa que le petit bonhomme gris serait certainement de bon conseil et consentirait peut-etre a l’aider, et il partit dans la foret. A l’endroit precis ou se trouvait l’arbre abattu par le Beta etait assis un homme au visage triste. Le Beta lui demanda ce qu’il avait.