Contes Merveilleux Tome II
Tout fut fait comme Jean l’avait propose.
Les orfevres travaillerent nuit et jour, ciselerent des merveilles par centaines, un navire fut equipe, le fidele Jean et le roi revetirent des costumes de marchands, afin de n’etre pas reconnus, puis les voiles furent hissees et le navire cingla vers le large, en direction du lointain point sur l’horizon ou s’elevait le Castel d’Or.
Quand ils aborderent cette ile lointaine, le fidele Jean recommanda au roi de rester a bord, tandis que lui-meme chercherait a approcher la princesse. Il descendit a terre, emportant de precieuses coupes d’or, escalada une falaise et arriva pres d’une riviere. La, une jeune servante puisait de l’eau dans deux seaux d’or et, quand elle vit paraitre cet etranger, elle lui demanda ce qu’il desirait.
«Je suis un marchand», lui repondit Jean, laissant entrevoir le contenu des ballots qu’il avait apportes.
«Oh! s’ecria la servante, si la fille du roi voyait ces merveilles, elle vous les acheterait certainement», et entrainant le faux marchand, elle le conduisit au chateau dont de hauts remparts et d’innombrables gardiens defendaient l’acces.
Quand la princesse eut apercu les coupes d’or, elle les prit une a une, les admira et dit: «Je vous les achete.» Mais le fidele Jean repondit: «Je ne suis que le serviteur d’un riche marchand. Ce que je vous montre ici n’est rien en comparaison de ce qu’il transporte a bord de son navire.
– Alors qu’il apporte ici toute sa cargaison, ordonna la princesse.
«Cela demanderait des jours et des jours, repondit Jean, et votre palais, si grand qu’il soit, ne l’est pas assez pour contenir tant de merveilles.»
Ces mots ne firent qu’exciter davantage la convoitise de la princesse qui demanda a Jean de la conduire jusqu’au bateau.
Il obeit avec la plus grande joie, et le roi, quand il vit paraitre la princesse, reconnut que sa beaute etait encore plus grande qu’il ne l’avait cru en voyant le tableau. Il la fit descendre dans les cales de son navire ou, sur des brocarts tisses d’or, il avait dispose des coffres debordant de bijoux, de plats, de statuettes et de candelabres. Tout etait de l’or le plus pur, et les fines ciselures brillaient au soleil ou luisaient dans les coins d’ombre, d’un insoutenable eclat.
Pendant ce temps, le fidele Jean etait reste sur le pont, aupres du timonier. Sur ses ordres, l’ancre fut levee sans bruit, les voiles hissees en silence et, seul, le leger clapotement des vagues contre la coque et la houle maintenant un peu plus forte trahirent le moment ou le navire, tournant sur son erre, prit le large et alla vers d’autres cieux.
Mais la princesse etait bien trop absorbee dans sa contemplation pour remarquer quoi que ce soit. Plusieurs heures s’ecoulerent avant qu’elle eut acheve de tout voir, de tout admirer, et lorsque, enfin, elle prit conge du marchand, la nuit etait presque venue.
Elle remonta sur le pont, vit les matelots a la man?uvre, les voiles gonflees par le vent et, a l’horizon, la terre comme un mince et lointain fil, maintenant hors d’atteinte.
«Ah! s’ecria-t-elle, je suis trahie! Un vil marchand m’a prise au piege et m’emporte loin de mon pere.
– Rassurez-vous, lui dit le roi en la prenant par la main, il est vrai que je vous ai enlevee par ruse, mais je ne suis pas un vil marchand. Mon pere etait un roi aussi puissant que le votre et je suis votre egal par la naissance. J’ai agi par ruse, mais l’amour est mon excuse: je ne pense qu’a vous depuis ce jour ou j’ai decouvert votre portrait, et ne saurais plus vivre sans vous.»
Quand la princesse entendit ces mots, son c?ur changea, elle regarda le roi avec plus de complaisance et accepta de devenir sa femme.
Le voyage se poursuivit dans le calme et le bonheur, mais un jour ou le fidele Jean, assis sur le pont, jouait de la flute, il vit voler trois corbeaux. Il ecouta ce qu’ils disaient, car il comprenait le langage des betes.
Le premier croassait: «Le roi croit avoir conquis la princesse du Castel d’Or.
– Il n’est pas au bout de ses peines, repondit le second.
– Helas! bien des epreuves l’attendent encore», fit le troisieme.
Alors le premier reprit: «Quand il abordera dans son royaume, un cheval couleur de feu bondira vers lui. S’il l’enfourche, ce cheval l’emportera dans les airs, et jamais plus il ne verra celle qu’il aime.
– Il y a un moyen d’eviter ce malheur, dit le second corbeau.
– Oui, reprit le premier, il y en a un. Si quelqu’un prend le pistolet qui se trouve dans les etuis de la selle et abat la bete, le jeune roi sera sauve. Mais qui peut savoir cela? Et si quelqu’un le savait et le disait, il serait immediatement change en pierre depuis la plante des pieds jusqu’aux genoux.»
Alors le second corbeau reprit la parole.
«Mais ce n’est pas tout, dit-il. Meme si le jeune roi echappait a ce danger, il n’aurait pas encore conquis son epouse. Quand celle-ci entrera dans son palais, elle verra une robe de mariee, si belle qu’elle ne pourra resister au desir de l’essayer. Alors, elle sera perdue, car la robe est de soufre et de poix et la consumera jusqu’a la moelle des os.
– N’y a-t-il aucun moyen de la sauver? demanda le troisieme.
– Il n’en est qu’un seul. Mettre une paire de gants de cuir, lui enlever sa robe et la jeter au feu. Mais qui fera cela? Personne ne le sait, personne ne le devinera et quiconque le saurait et le dirait serait change en pierre depuis les genoux jusqu’au c?ur.»
Le fidele Jean ne disait rien, mais il ecoutait toujours, l’angoisse au c?ur.
Alors le troisieme corbeau parla. «Je sais encore autre chose, dit-il. Meme si la princesse n’etait pas consumee par sa robe, les jeunes maries ne seraient pas encore sauves. Apres le mariage il y aura un bal, la jeune reine s’evanouira et si personne ne lui prend trois gouttes de sang au poignet droit pour les jeter au loin, elle mourra… Mais quiconque sachant ceci le repeterait a haute voix, des pieds a la tete il serait immediatement transforme en pierre.»
Apres avoir dit cela les trois corbeaux s’envolerent, et Jean demeura plonge dans ses tristes pensees, sachant cette fois qu’il ne pouvait sauver son maitre sans lui-meme perdre la vie.
Comme les corbeaux l’avaient dit, des que le bateau eut accoste, un cheval a la robe de feu apparut sur la plage, et le roi enthousiasme par son allure, s’appreta a l’enfourcher. Le fidele Jean n’eut que le temps de saisir le pistolet dans les fontes et d’abattre l’animal.
Alors les autres serviteurs, jaloux de Jean, s’ecrierent: «Quel massacre inutile! Ce cheval aurait ete le plus bel ornement des ecuries royales.» Mais le roi les fit taire. «Il est mon fidele Jean, dit-il, tout ce qu’il fait est bien fait.» Les jaloux se regarderent, decus, mais ne purent insister.
Avec des clameurs de joie, un cortege triomphal se forma qui accompagna le jeune monarque et la princesse jusqu’a leur chateau.