Contes Merveilleux Tome II
– Mon Dieu! s’ecria-t-il, me voila dans le moulin a foulon.
Mais il se rendit bientot compte ou il se, trouvait reellement. Il prit garde, de ne pas se laisser broyer entre les dents, et finalement glissa dans la gorge et dans la panse. «Les fenetres ont ete oubliees dans cet appartement, se dit-il, et l’on n’y voit ni le soleil, ni chandelle.» Ce, sejour lui deplut beaucoup et, ce qui aggravait encore la situation, c’est qu’il arrivait toujours du nouveau foin et que l’espace qu’il occupait devenait de plus en plus, etroit. Il se mit a crier le plus haut qu’il put:
– Ne m’envoyez plus de fourrage, ne m’envoyez plus de fourrage!
La servante a ce moment etait justement en train de traire la vache. En entendant parler sans voir personne, et, reconnaissant la meme voix que celle qui l’avait deja eveillee la nuit, elle fut prise d’une telle frayeur qu’elle tomba de son tabouret et repandit son lait.
Elle alla en toute hate trouver son maitre et lui cria:
– Ah! grand Dieu, monsieur le cure, la vache parle.
– Tu es folle, repondit le pretre.
Il se rendit cependant a l’etable afin de s’assurer de ce, qui se passait.
A peine y eut-il mis le pied que Tom Pouce s’ecria de nouveau:
– Ne m’envoyez plus de fourrage, ne m’envoyez plus, de fourrage.
La frayeur gagna le cure lui-meme et, s’imaginant qu’il y avait un diable dans le corps de la vache, il du qu’il fallait la tuer. Ainsi fut fait, et l’on jeta au fumier la panse, ou se trouvait le pauvre Tom Pouce.
Il eut beaucoup de mal a se demeler de la et il commencait a passer sa tete quand survint un nouveau malheur. Un loup affame qui passait par la avala la panse de la vache avec le petit bonhomme d’une seule bouchee. Tom Pouce ne perdit pas courage. «Peut-etre, se dit-il, ce loup sera-t-il traitable.» Et de son ventre ou il etait enferme il lui cria:
– Cher loup, je, vais t’indiquer un bon repas a faire.
– Et ou cela? dit le loup.
Dans telle et telle maison; tu n’auras qu’a te glisser par le soupirail de la cuisine, et tu trouveras des gateaux, du lard, des saucisses a bouche que veux-tu.
Et il lui indiqua exactement la maison de son pere.
Le loup ne se le fit pas dire deux fois. Il s’introduisit de nuit dans le soupirail et s’en donna a c?ur joie dans le buffet aux provisions. Quand il fut repu et qu’il voulut sortir il s’etait tellement gonfle de nourriture qu’il ne put venir a bout de repasser par la meme voie. C’est la-dessus que Tom Pouce avait compte. Aussi commenca-t-il a faire dans le ventre du loup un vacarme effroyable, hurlant et gambadant tant qu’il put.
– Veux-tu te tenir en repos, dit le loup; tu vas eveiller le monde.
– Eh quoi! repondit le petit homme, tu t’es regale, je veux m’amuser aussi moi.
Et il recommenca son tapage.
Il finit par eveiller son pere et sa mere qui se mirent a regarder dans la cuisine par la serrure. Quand ils virent le loup, ils coururent s’armer, l’homme d’une hache, la femme d’une faux.
– Reste derriere, dit l’homme, a la femme au moment d’entrer, je vais lui assener un coup avec ma hache, et s’il n’en meurt pas du coup, tu lui couperas le ventre.
Tom Pouce qui entendit la voix de son pere lui cria:
– Cher pere, c’est moi, je suis dans le ventre du loup.
– Notre cher enfant nous est rendu! s’ecria le pere plein de joie.
Et il ordonna a sa femme de mettre la faux de cote afin de ne pas blesser Tom Pouce. Puis il leva sa hache et en porta au loup un coup qui l’etendit mort. Il lui ouvrit ensuite le ventre avec des ciseaux et un couteau et en tira le petit Tom.
– Ah! dit le pere, que nous avons ete inquiets sur ton sort!
– Oui, pere, j’ai beaucoup couru le monde, heureusement que je puis enfin reprendre l’air frais.
– Ou as-tu donc ete?
– Ah! pere, j’ai ete dans un trou de souris, dans la panse d’une vache et dans le ventre d’un loup. Mais maintenant je veux rester avec vous.
– Nous ne te vendrons plus pour tout l’or du monde, dirent les parents en l’embrassant et le serrant contre leur c?ur.
Ils lui donnerent a manger et a boire, et lui firent confectionner d’autres vetements, car les siens avaient ete gates pendant le voyage.
Les Trois cheveux d’or du Diable
Il etait une fois une pauvre femme qui mit au monde un fils, et, comme il etait coiffe quand il naquit, on lui predit que dans sa quatorzieme annee, il epouserait la fille du roi.
Sur ces entrefaites, le roi passa par le village, sans que personne le reconnut; et comme il demandait ce qu’il y avait de nouveau, on lui repondit qu’il venait de naitre un enfant coiffe, que tout ce qu’il entreprendrait lui reussirait, et qu’on lui avait predit que, lorsqu’il aurait quatorze ans, il epouserait la fille du roi.
Le roi avait un mauvais c?ur et cette prediction le facha. Il alla trouver les parents du nouveau-ne, et leur dit d’un air tout amical: «Vous etes de pauvres gens, donnez-moi votre enfant, j’en aurai bien soin.» Ils refuserent d’abord; mais l’etranger leur offrit de l’or, et ils se dirent: «Puisque l’enfant est ne coiffe, ce qui arrive est pour son bien.» Ils finirent par consentir et par livrer leur fils.
Le roi le mit dans une boite, et chevaucha avec ce fardeau jusqu’au bord d’une riviere profonde ou il le jeta, en pensant qu’il delivrait sa fille d’un galant sur lequel elle ne comptait guere. Mais la boite, loin de couler a fond, se mit a flotter comme un petit batelet, sans qu’il entrat dedans une seule goutte d’eau; elle alla ainsi a la derive jusqu’a deux lieues de la capitale, et s’arreta contre l’ecluse d’un moulin.
Un garcon meunier qui se trouvait la par bonheur l’apercut et l’attira avec un croc; il s’attendait en l’ouvrant a y trouver de grands tresors: mais c’etait un joli petit garcon, frais et eveille. Il le porta au moulin; le meunier et sa femme, qui n’avaient pas d’enfants, recurent celui-la comme Si Dieu le leur eut envoye. Ils traiterent de leur mieux le petit orphelin, qui grandit chez eux en forces et en bonnes qualites.
Un jour le roi, surpris par la pluie, entra dans le moulin et demanda au meunier Si ce grand jeune homme etait son fils. «Non, sire», repondit-il, «c’est un enfant trouve qui est venu dans une boite echouer contre notre ecluse, il y a quatorze ans; notre garcon meunier l’a tire de l’eau.»
Le roi reconnut alors que c’etait l’enfant ne coiffe qu’il avait jete a la riviere. «Bonnes gens», dit-il, «ce jeune homme ne pourrait-il pas porter une lettre de ma part a la reine? Je lui donnerais deux pieces d’or pour sa peine.»