Contes Merveilleux Tome II
– Que signifie cela? tu n’as meme pas la force de retenir ce petit baton?
– Ce n’est pas la force qui me manque, repondit le tailleur. Tu t’imagines que c’est ca qui ferait peur a celui qui en a tue sept d’un coup? J’ai saute par-dessus l’arbre parce qu’il y a des chasseurs qui tirent dans les taillis. Saute, toi aussi, si tu le peux!
Le geant essaya, n’y parvint pas et resta pendu dans les branches de sorte que, cette fois encore, ce fut le tailleur qui gagna.
Le geant lui dit:
– Si tu es si vaillant, viens dans notre caverne pour y passer la nuit avec nous. Le petit tailleur accepta et l’accompagna. Lorsqu’ils arriverent dans la grotte, les autres geants etaient assis autour du feu et chacun d’entre eux tenait a la main un monstrueux roti auquel ils mordaient. Le petit tailleur regarda autour de lui et pensa: «C’est bien plus grand ici que dans mon atelier.»
Le geant lui indiqua un lit et lui dit de s’y coucher et d’y dormir.
Mais le lit etait trop grand pour le petit tailleur. Il ne s’y coucha pas, mais s’allongea dans un coin. Quand il fut minuit et que le geant pensa que le tailleur dormait profondement, il prit une barre de fer et, d’un seul coup, brisa le lit, croyant avoir donne le coup de grace au rase-mottes. Au matin, les geants s’en allerent dans la foret. Ils avaient completement oublie le tailleur. Et le voila qui s’avancait tout joyeux et plein de temerite! Les geants prirent peur, craignirent qu’il ne les tuat tous et s’enfuirent en toute hate.
Le petit tailleur poursuivit son chemin au hasard. Apres avoir longtemps voyage, il arriva dans la cour d’un palais royal et, comme il etait fatigue, il se coucha et s’endormit. Pendant qu’il etait la, des gens s’approcherent, qui lurent sur sa ceinture: «Sept d’un coup».
– Eh! dirent-ils, que vient faire ce foudre de guerre dans notre paix? Ce doit etre un puissant seigneur!
Ils allerent le dire au roi, pensant que si la guerre eclatait ce serait la un homme utile et important, qu’il ne fallait laisser repartir a aucun prix. Ce conseil plut au roi et il envoya l’un de ses courtisans aupres du petit tailleur avec pour mission de lui offrir une fonction militaire quand il s’eveillerait. Le messager resta plante pres du dormeur, attendit qu’il remuat les membres et ouvrit les yeux et lui presenta sa requete.
– C’est justement pour cela que je suis venu ici, repondit-il. je suis pret a entrer au service du roi.
Il fut recu avec tous les honneurs et on mit a sa disposition une demeure particuliere.
Les gens de guerre ne voyaient cependant pas le petit tailleur d’un bon ?il. Ils le souhaitaient a mille lieues.
– Qu’est-ce que ca va donner, disaient-ils entre eux, si nous nous prenons de querelle avec lui et qu’il frappe? Il y en aura sept a chaque fois qui tomberont. Aucun de nous ne se tirera d’affaire.
Ils deciderent donc de se rendre tous aupres du roi et demanderent a quitter son service.
– Nous ne sommes pas faits, dirent-ils, pour rester a cote d’un homme qui en abat sept d’un coup.
Le roi etait triste de perdre, a cause d’un seul, ses meilleurs serviteurs. Il aurait souhaite ne l’avoir jamais vu et aurait bien voulu qu’il repartit. Mais il n’osait pas lui donner son conge parce qu’il aurait pu le tuer lui et tout son monde et prendre sa place sur le trone. Il hesita longtemps. Finalement, il eut une idee. Il fit dire au petit tailleur que, parce qu’il etait un grand foudre de guerre, il voulait bien lui faire une proposition. Dans une foret de son pays habitaient deux geants qui causaient de gros ravages, pillaient, tuaient, mettaient tout a feu et a sang. Personne ne pouvait les approcher sans mettre sa vie en peril. S’il les vainquait et qu’il les tuat, il lui donnerait sa fille unique en mariage et la moitie de son royaume en dot. Cent cavaliers l’accompagneraient et lui preteraient secours. «Voila qui convient a un homme comme un moi», songea le petit tailleur. «Une jolie princesse et la moitie d’un royaume, ca ne se trouve pas tous les jours».
– Oui, fut donc sa reponse. Je viendrai bien a bout des geants et je n’ai pas besoin de cent cavaliers. Celui qui en tue sept d’un coup n’a rien a craindre quand il n’y en a que deux.
Le petit tailleur prit la route et les cent cavaliers le suivaient. Quand il arriva a l’oree de la foret, il dit a ses compagnons:
– Restez ici, je viendrai bien tout seul a bout des geants.
Il s’enfonca dans la foret en regardant a droite et a gauche. Au bout d’un moment, il apercut les deux geants. Ils etaient couches sous un arbre et dormaient en ronflant si fort que les branches en bougeaient. Pas paresseux, le petit tailleur remplit ses poches de cailloux et grimpa dans l’arbre. Quand il fut a mi-hauteur, il se glissa le long d’une branche jusqu’a se trouver exactement au-dessus des dormeurs et fit tomber sur la poitrine de l’un des geants une pierre apres l’autre. Longtemps, le geant ne sentit rien. Finalement, il se reveilla, secoua son compagnon et lui dit:
– Pourquoi me frappes-tu?
– Tu reves, repondit l’autre. Je ne te frappe pas.
Ils se remirent a dormir. Alors le petit tailleur jeta un caillou sur le second des geants.
– Qu’est-ce que c’est? cria-t-il. Pourquoi me frappes-tu?
– Je ne te frappe pas, repondit le premier en grognant.
Ils se querellerent un instant mais, comme ils etaient fatigues, ils cesserent et se rendormirent. Le petit tailleur recommenca son jeu, choisit une grosse pierre et la lanca avec force sur la poitrine du premier geant.
– C’est trop fort! s’ecria celui-ci.
Il bondit comme un fou et jeta son compagnon contre l’arbre, si fort que celui-ci en fut ebranle. Le second lui rendit la monnaie de sa piece et ils entrerent dans une telle colere qu’ils arrachaient des arbres pour s’en frapper l’un l’autre. A la fin, ils tomberent tous deux morts sur le sol. Le petit tailleur regagna alors la terre ferme. «Une chance qu’ils n’aient pas arrache l’arbre sur lequel j’etais perche. Il aurait fallu que je saute sur un autre comme un ecureuil. Heureusement que l’on est agile, nous autres!» Il tira son epee et en donna quelques bons coups a chacun dans la poitrine puis il rejoignit les cavaliers et leur dit:-
Le travail est fait, je leur ai donne le coup de grace a tous les deux. Ca a ete dur. Ils avaient du arracher des arbres pour se defendre. Mais ca ne sert a rien quand on a affaire a quelqu’un qui en tue sept, comme moi, d’un seul coup.
– N’etes-vous pas blesse? demanderent les cavaliers.
– Ils ne m’ont meme pas defrise un cheveu, repondit le tailleur. Les cavaliers ne voulurent pas le croire sur parole et ils entrerent dans le bois. Ils y trouverent les geants nageant dans leur sang et, tout autour, il y avait des arbres arraches.
Le petit tailleur reclama le salaire promis par le roi. Mais celui-ci se deroba et chercha comment il pourrait se debarrasser du heros.