Contes Merveilleux Tome I
Cendrillon
Un homme riche avait une femme qui tomba malade; et quand celle-ci sentit sa fin prochaine, elle appela a son chevet son unique fille et lui dit:
– Chere enfant, reste bonne et pieuse, et le bon Dieu t'aidera toujours, et moi, du haut du ciel, je te regarderai et te protegerai.
Puis elle ferma les yeux et mourut. La fillette se rendit chaque jour sur la tombe de sa mere, pleura et resta bonne et pieuse. L'hiver venu, la neige recouvrit la tombe d'un tapis blanc. Mais au printemps, quand le soleil l'eut fait fondre, l'homme prit une autre femme.
La femme avait amene avec elle ses deux filles qui etaient jolies et blanches de visage, mais laides et noires de c?ur. Alors de bien mauvais jours commencerent pour la pauvre belle-fille.
Faut-il que cette petite oie reste avec nous dans la salle? dirent-elles. Qui veut manger du pain, doit le gagner. Allez ouste, souillon!
Elles lui enleverent ses beaux habits, la vetirent d'un vieux tablier gris et lui donnerent des sabots de bois. «Voyez un peu la fiere princesse, comme elle est accoutree!», s'ecrierent-elles en riant et elles la conduisirent a la cuisine. Alors il lui fallut faire du matin au soir de durs travaux, se lever bien avant le jour, porter de l'eau, allumer le feu, faire la cuisine et la lessive. En outre, les deux s?urs lui faisaient toutes les miseres imaginables, se moquaient d'elle, lui renversaient les pois et les lentilles dans la cendre, de sorte qu'elle devait recommencer a les trier. Le soir, lorsqu'elle etait epuisee de travail, elle ne se couchait pas dans un lit, mais devait s'etendre pres du foyer dans les cendres. Et parce que cela lui donnait toujours un air poussiereux et sale, elles l'appelerent «Cendrillon».
Dessin de Walter Crane
Il arriva que le pere voulut un jour se rendre a la foire; il demanda a ses deux belles-filles ce qu'il devait leur rapporter.
– De beaux habits, dit l'une. – Des perles et des pierres precieuses, dit la seconde.
– Et toi, Cendrillon, demanda-t-il, que veux-tu?
– Pere, le premier rameau qui heurtera votre chapeau sur le chemin du retour, cueillez-le pour moi.
Il acheta donc de beaux habits, des perles et des pierres precieuses pour les deux s?urs, et, sur le chemin du retour, en traversant a cheval un vert bosquet, une branche de noisetier l'effleura et fit tomber son chapeau. Alors il cueillit le rameau et l'emporta. Arrive a la maison, il donna a ses belles-filles ce qu'elles avaient souhaite et a Cendrillon le rameau de noisetier. Cendrillon le remercia, s'en alla sur la tombe de sa mere et y planta le rameau, en pleurant si fort que les larmes tomberent dessus et l'arroserent. Il grandit cependant et devint un bel arbre. Cendrillon allait trois fois par jour pleurer et prier sous ses branches, et chaque fois un petit oiseau blanc venait se poser sur l'arbre. Quand elle exprimait un souhait, le petit oiseau lui lancait a terre ce quelle avait souhaite.
Or il arriva que le roi donna une fete qui devait durer trois jours et a laquelle furent invitees toutes les jolies filles du pays, afin que son fils put se choisir une fiancee. Quand elles apprirent qu'elles allaient aussi y assister, les deux s?urs furent toutes contentes; elles appelerent Cendrillon et lui dirent -
– Peigne nos cheveux, brosse nos souliers et ajuste les boucles, nous allons au chateau du roi pour la noce.
Cendrillon obeit, mais en pleurant, car elle aurait bien voulu les accompagner, et elle pria sa belle-mere de bien vouloir le lui permettre.
– Toi, Cendrillon, dit-elle, mais tu es pleine de poussiere et de crasse, et tu veux aller a la noce? Tu n'as ni habits, ni souliers, et tu veux aller danser?
Mais comme Cendrillon ne cessait de la supplier, elle finit par lui dire:
– J'ai renverse un plat de lentilles dans les cendres; si dans deux heures tu les as de nouveau triees, tu pourras venir avec nous.
La jeune fille alla au jardin par la porte de derriere et appela:
«Petits pigeons dociles, petites tourterelles et vous tous les petits oiseaux du ciel, venez m'aider a trier les graines:
les bonnes dans le petit pot,
les mauvaises dans votre jabot.»
Alors deux pigeons blancs entrerent par la fenetre de la cuisine, puis les tourterelles, et enfin, par nuees, tous les petits oiseaux du ciel vinrent en voletant se poser autour des cendres. Et baissant leurs petites tetes, tous les pigeons commencerent a picorer: pic, pic, pic, pic, et les autres s'y mirent aussi: pic, pic, pic, pic, et ils amasserent toutes les bonnes graines dans le plat. Au bout d'une heure a peine, ils avaient deja termine et s'envolerent tous de nouveau. Alors la jeune fille, toute joyeuse a l'idee qu’elle aurait maintenant la permission d'aller a la noce avec les autres, porta le plat a sa maratre. Mais celle-ci lui dit:
– Non, Cendrillon, tu n'as pas d'habits et tu ne sais pas danser: on ne ferait que rire de toi.
Comme Cendrillon se mettait a pleurer, elle lui dit:
– Si tu peux, en une heure de temps, me trier des cendres deux grands plats de lentilles, tu nous accompagneras. – Car elle se disait qu'au grand jamais elle n'y parviendrait.
Quand elle eut jete le contenu des deux plats de lentilles dans la cendre, la jeune fille alla dans le jardin par la porte de derriere et appela:
«Petits pigeons dociles, petites tourterelles et vous tous les petits oiseaux du ciel, venez m'aider a trier les graines:
les bonnes dans le petit pot,
les mauvaises dans votre jabot.»
Alors deux pigeons blancs entrerent par la fenetre de la cuisine, puis les tourterelles, et enfin, par nuees, tous les petits oiseaux du ciel vinrent en voletant se poser autour des cendres. Et baissant leurs petites tetes, tous les pigeons commencerent -a picorer: pic, pic, pic, pic, et les autres s y mirent aussi: pic, pic, pic, pic, et ils ramasserent toutes les bonnes graines dans les plats. Et en moins d'une demi-heure, ils avaient deja termine, et s'envolerent tous a nouveau. Alors la jeune fille, toute joyeuse a l'idee que maintenant elle aurait la permission d'aller a la noce avec les autres, porta les deux plats a sa maratre. Mais celle-ci lui dit:
– C'est peine perdue, tu ne viendras pas avec nous, car tu n'as pas d'habits et tu ne sais pas danser; nous aurions honte de toi.
La-dessus, elle lui tourna le dos et partit a la hate avec ses deux filles superbement parees.
Lorsqu'il n'y eut plus personne a la maison, Cendrillon alla sous le noisetier plante sur la tombe de sa mere et cria
«Petit arbre, ebranle-toi, agite-toi,
jette de l'or et de l'argent sur moi.»
Dessin de Walter Crane