Contes merveilleux, Tome I
– Maman, je crois que je vais guerir, dit la petite fille le soir a sa mere. Le petit pois vient si bien, et moi je vais sans doute me porter bien aussi, me lever et sortir au soleil.
– Je le voudrais bien, dit la mere, mais elle ne le croyait pas.
Cependant, elle mit un petit tuteur pres du germe qui avait donne de joyeuses pensees a son enfant afin qu'il ne soit pas brise par le vent et elle attacha une ficelle a la planche d'un cote et en haut du chambranle de la fenetre de l'autre, pour que la tige eut un support pour s'appuyer et s'enrouler a mesure qu'elle pousserait. Et c'est ce qu'elle fit, on la voyait s'allonger tous les jours.
– Non, voila qu'elle fleurit! s'ecria la femme un matin.
Et elle-meme se prit a esperer et meme a croire que sa petite fille malade allait guerir. Il lui vint a l'esprit que dans les derniers temps la petite lui avait parle avec plus d'animation, que ces derniers matins elle s'etait assise dans son lit et avait regarde, les yeux rayonnants de plaisir, son petit potager d'un seul pois. La semaine suivante, elle put lever la malade pour la premiere fois et pendant plus d'une heure.
Elle etait assise au soleil, la fenetre ouverte, et la, dehors, une fleur de pois rose etait eclose.
La petite fille pencha sa tete en avant et posa un baiser tout doucement sur les fins petales. Ce jour-la, fut un jour de fete.
– C'est le Bon Dieu qui a lui-meme plante ce pois et l'a fait pousser afin de te donner de l'espoir et de la joie, mon enfant benie. Et a moi aussi, dit la mere tout heureuse.
Elle sourit a la fleur comme a un ange de Dieu.
Mais les autres pois? direz-vous, oui, ceux qui se sont envoles dans le vaste monde.
«Attrape-moi si tu peux» est tombe dans la gouttiere et de la dans le jabot d'un pigeon, comme Jonas dans la baleine. Les deux paresseux arriverent aussi loin puisqu'ils furent aussi manges par un pigeon, ils se rendirent donc bien utiles. Mais le quatrieme qui voulait monter jusqu'au soleil, il tomba dans le ruisseau et il resta la des jours et des semaines dans l'eau rance ou il gonfla terriblement.
– Je deviens gros delicieusement, disait-il. J'en eclaterai et je crois qu'aucun pois ne peut aller, ou n'ira jamais plus loin. Je suis le plus remarquable des cinq de la cosse.
Le ruisseau lui donna raison. La-haut, a la fenetre sous le toit, la petite fille les yeux brillants la rose de la sante aux joues, joignait les mains au-dessus de la fleur de pois et remerciait Dieu.
Moi, je tiens pour mon pois, disait cependant le ruisseau.
La cloche
Le soir, dans les rues etroites de la grande ville, vers le faubourg, lorsque le soleil se couchait et que les nuages apparaissaient comme un fond d'or sur les cheminees noires, tantot l'un, tantot l'autre entendait un son etrange, comme l'echo lointain d'une cloche d'eglise; mais le son ne durait qu'un instant: le bruit des passants, des voitures, des charrettes l'etouffait aussitot. Un peu hors de la ville, la ou les maisons sont plus ecartees les unes des autres et ou il y a moins de mouvement, on voyait beaucoup mieux le beau ciel enflamme par les rayons du soleil couchant, et on percevait bien le son de la cloche, qui semblait provenir de la vaste foret qui s'etendait au loin. C'est de ce cote que les gens tendaient l'oreille; ils se sentaient pris d'un doux sentiment de religieuse piete. On finit par se demander l'un a l'autre: «Il y a donc une eglise au fond de la foret? Quel son sublime elle a, cette cloche! N'irons-nous pas l'entendre de plus pres?» Et, un beau jour, on se mit en route: les gens riches en voiture, les pauvres a pied; mais, aux uns comme aux autres, le chemin parut etonnamment long, et lorsque, arrives a la lisiere du bois, ils apercurent un talus tapisse d'herbe et de mousse et plante de beaux saules, ils s'y precipiterent et s'y etendirent a leur aise. Un patissier de la ville avait eleve la une tente; on se regala chez lui; mais le monde affluait surtout chez un patissier rival qui au-dessus de sa boutique, avait place une belle cloche qui faisait un vacarme du diable. Apres avoir bien mange et s'etre reposee, la bande reprit le chemin de la ville; tous etaient enchante de leur journee et disaient que cela avait ete for romantique. Trois personnages graves, des savants de merite, pretendirent avoir explore la foret dans tous les sens, et racontaient qu'ils avaient fort bien entendu le son de la cloche, mais qu'il leur avait semble provenir de la ville. L'un d'eux, qui avait du talent pour la poesie, fit une piece habilement rimee, ou il comparait la melodie de la cloche au doux chant d'une mere qui berce son enfant. La chose fut imprimee et tomba sous les yeux du roi. Sa Majeste se fit mettre au fait et declama alors que celui qui decouvrirait d'ou venait ce son recevrait le titre de sonneur du roi et de la cour, et cela meme si le son n'etait pas produit par une cloche. Une bonne pension serait assuree a cette nouvelle dignite. Alleches par cette perspective, bien des gens se risquerent dans la foret sauvage; il n'y en eut qu'un seul qui en rapporta une maniere d'explication du phenomene. Il ne s'etait guere avance plus loin que les autres; mais, d'apres son recit, il avait apercu niche dans le tronc d'un grand arbre un hibou, qui, de temps en temps, cognait l'ecorce pour attraper des araignees ou d'autres insectes qu'il mangeait pour son dessert. C'est la, pensait il, ce qui produisait le bruit, a moins que ce ne fut le cri de l'oiseau de Minerve, repercute dans le tronc creux. On loua beaucoup la sagacite du courageux explorateur; il recut le titre de sonneur du roi et de la cour, avec la pension. Tous les ans, il publia depuis, sur beau papier, une dissertation pour faire valoir sa decouverte, et tout etait pour le mieux. Survint le grand jour de la confirmation. Le sermon du pasteur fut plein d'onction et de sentiment; tous ces jeunes adolescents en furent vivement emus; ils avaient compris qu'ils venaient de sortir de l'enfance et qu'ils devaient commencer a penser aux devoirs serieux de la vie. Il faisait un temps delicieux; le soleil resplendissait; aussi, tous ensemble, ils allerent se promener du cote de la foret. Voila que le son de la cloche retentit plus fort, plus melodieux que jamais; entraines par un puissant charme, ils decident de s'en rapprocher le plus possible.» Assurement, ce n'est pas un hibou, se dirent ils, qui fait ce bruit.» Trois d'entre eux, cependant, rebrousserent chemin. D'abord une jeune fille evaporee, qui attendait a la maison la couturiere et devait essayer la robe qu'elle aurait a mettre au prochain bal, le premier ou elle devait paraitre de sa vie.» Impossible, dit elle, de negliger une affaire si importante.» Puis, ce fut un pauvre garcon qui avait emprunte son habit de ceremonie et ses bottines vernies au fils de son patron; il avait promis de rendre le tout avant le soir, et, en tout cas, il ne voulait pas aventurer au milieu des broussailles la propriete d'autrui. Le troisieme qui rentra en ville, c'etait un garcon qui declara qu'il n'allait jamais au loin sans ses parents, et que les bienseances le commandaient ainsi. On se mit a sourire; il pretendit que c'etait fort deplace; alors, les autres rirent aux eclats; mais il ne s'en retourna pas moins, tres fier de sa belle et sage conduite. Les autres trottinerent en avant et s'engagerent sur la grande route plantee de tilleuls. Le soleil penetrait en rayons dores a travers le feuillage; les oiseaux entonnaient un joyeux concert et toute la bande chantait en choeur avec eux, se tenant par la main, riches et pauvres, roturiers et nobles; ils etaient encore jeunes et ne regardaient pas trop a la distinction des rangs; du reste, ce jour la, ne s'etaient-ils pas sentis tous egaux devant Dieu? Mais bientot, deux parmi les plus petits se dirent fatigues et retournerent en arriere; puis, trois jeunes filles s'abattirent sur un champ de bleuets et de coquelicots, s'amuserent a tresser des couronnes et ne penserent plus a la cloche. Lorsqu'on fut sur le talus plante de saules, on se debanda et, par groupes, ils allerent s'attabler chez les patissiers.» Oh! qu'il fait charmant ici! disaient la plupart. Restons assis et reposons-nous. La cloche, il est probable qu'elle n'existe pas, et que tout cela n'est que fantasmagorie.» Voila qu'au meme instant le son retentit au fond de la foret, si plein, si majestueux et solennel, que tous en furent saisis. Cependant il n'y en eut que cinq, tous des garcons, qui resolurent de tenter l'aventure et de s'engager sous bois. C'est aussi qu'il etait difficile d'y penetrer: les arbres etaient serres, entremeles de ronces et de hautes fougeres; de longues guirlandes de liserons arretaient encore la marche; il y avait aussi des cailloux pointus, et de gros quartiers de roches, et des marecages. Ils avancaient peniblement, lorsque toute une nichee de rossignols fit entendre un ravissant concert; ils marchent dans cette direction et arrivent a une charmante clairiere, tapissee de mousses de toutes nuances, de muguets, d'orchidees et autres jolies fleurs; au milieu, une source fraiche et abondante sortait d'un rocher; son murmure faisait comme: «Glouk! glouk!» «Ne serait-ce pas la la fameuse cloche? dit l'un d'eux, en mettant son oreille contre terre pour mieux entendre. Je m'en vais rester pour tirer la chose au clair.» Un second lui tint compagnie pour qu'il n'eut pas seul l'honneur de la decouverte. Les trois autres reprirent leur marche en avant. Ils atteignirent un amour de petite hutte, construite en ecorce et couverte d'herbes et de branchages; le toit etait abrite par la couronne d'un pommier sauvage, tout charge de fleurs roses et blanches; au-dessus de la porte etait suspendue une clochette.» Voila donc le mystere!» s'ecria l'un d'eux, et l'autre l'approuva aussitot. Mais le troisieme declara que cette cloche n'etait pas assez grande pour etre entendue de si loin et pour produire des sons qui remuaient tous les coeurs; que ce n'etait la qu'un joujou. Celui qui disait cela, c'etait le fils d'un roi; les deux autres se dirent que les princes voulaient toujours tout mieux savoir que le reste du monde; ils garderent leur idee, et s'assirent pour attendre que le vent agitat la petite cloche. Lui s'en fut tout seul, mais il etait plein de courage et d'espoir; sa poitrine se gonflait sous l'impression de la solitude solennelle ou il se trouvait. De loin, il entendit le gentil carillon de la clochette, et le vent lui apportait aussi parfois le son de la cloche du patissier. Mais la vraie cloche, celle qu'il cherchait, resonnait tout autrement; par moments, il l'entendait sur la gauche, «du cote du coeur», se dit-il; maintenant qu'il approchait, cela faisait l'effet de tout un jeu d'orgue. Voila qu'un bruit se fait entendre dans les broussailles-, et il en sort un jeune garcon en sabots et portant une jaquette trop petite pour sa taille, et qui laissait bien voir quelles grosses mains il avait. Ils se reconnurent; c'etait celui des nouveaux confirmes qui avait du rentrer a la maison, pour remettre au fils de son patron le bel habit et les bottines vernies qu'on lui avait pretes. Mais, son devoir accompli, il avait endosse ses pauvres vetements, mis ses sabots, et il etait reparti, a la hate, a la recherche de la cloche, qui avait si delicieusement fait vibrer son coeur.» C'est charmant, dit le fils du roi; nous allons Marcher ensemble a la decouverte. Dirigeons-nous Par la gauche.» Le pauvre garcon etait tout honteux de sa chaussure et des manches trop courtes de sa jaquette.