Contes merveilleux, Tome I
– Naturellement! dit le chien. Elle m'a si souvent caresse, et lui m'a donne tant d'os a ronger. Pas de danger que je les morde!
– Mais qui sont-ils donc?
– Des fiances, repondit le chien. Ils veulent vivre tous les deux dans la meme niche et y ronger des os ensemble. Ouah! ouah!
– Est-ce que ce sont des gens comme toi et moi?
– Ah! mais non! dit le chien. Ils appartiennent a la famille des maitres! Je connais tout ici dans cette cour! Oui, il y a un temps ou je n'etais pas dans la cour, au froid et a l'attache pendant que souffle le vent glace. Ouah! ouah!
– Moi, j'adore le froid! dit le Bonhomme de neige. Je t'en prie, raconte. Mais tu pourrais bien faire moins de bruit avec ta chaine. Cela m'ecorche les oreilles.
– Ouah! ouah! aboya le chien. J'ai ete jeune chien, gentil et mignon, comme on me le disait alors. J'avais ma place sur un fauteuil de velours dans le chateau, parfois meme sur le giron des maitres. On m'embrassait sur le museau, et on m'epoussetait les pattes avec un mouchoir brode. On m'appelait «Cheri». Mais je devins grand, et l'on me donna a la femme de menage. J'allai demeurer dans le cellier; tiens! d'ou tu es, tu peux en voir l'interieur. Dans cette chambre, je devins le maitre; oui, je fus le maitre chez la femme de menage. C'etait moins luxueux que dans les appartements du dessus, mais ce n'en etait que plus agreable. Les enfants ne venaient pas constamment me tirailler et me tarabuster comme la-haut. Puis j'avais un coussin special, et je me chauffais a un bon poele, la plus belle invention de notre siecle, tu peux m'en croire. Je me glissais dessous et l'on ne me voyait plus. Tiens! j'en reve encore.
– Est-ce donc quelque chose de si beau qu'un poele? reprit le Bonhomme de neige apres un instant de reflexion.
– Non, non, tout au contraire! C'est tout noir, avec un long cou et un cercle en cuivre. Il mange du bois au point que le feu lui en sort par la bouche. Il faut se mettre au-dessus ou au-dessous, ou a cote, et alors, rien de plus agreable. Du reste, regarde par la fenetre, tu l'apercevras.
Le Bonhomme de neige regarda et apercut en effet un objet noir, reluisant, avec un cercle en cuivre, et par-dessous lequel le feu brillait. Cette vue fit sur lui une impression etrange, qu'il n'avait encore jamais eprouvee, mais que tous les hommes connaissent bien.
– Pourquoi es-tu parti de chez elle? demanda le Bonhomme de neige.
Il disait: elle, car, pour lui, un etre si aimable devait etre du sexe feminin.
– Comment as-tu pu quitter ce lieu de delices?
– Il le fallait bon gre mal gre, dit le chien. On me jeta dehors et on me mit a l'attache, parce qu'un jour je mordis a la jambe le plus jeune des fils de la maison qui venait de me prendre un os. Les maitres furent tres irrites, et l'on m'envoya ici a l'attache. Tu vois, avec le temps, j'y ai perdu ma voix. J'aboie tres mal.
Le chien se tut. Mais le Bonhomme de neige n'ecoutait deja plus ce qu'il lui disait. Il continuait a regarder chez la femme de menage, ou le poele etait pose.
– Tout mon etre en craque d'envie, disait-il. Si je pouvais entrer! Souhait bien innocent, tout de meme! Entrer, entrer, c'est mon voeu le plus cher; il faut que je m'appuie contre le poele, dusse-je passer par la fenetre!
– Tu n'entreras pas, dit le chien, et si tu entrais, c'en serait fait de toi.
– C'en est deja fait de moi, dit le Bonhomme de neige; l'envie me detruit.
Toute la journee il regarda par la fenetre. Du poele sortait une flamme douce et caressante; un poele seul, quand il a quelque chose a bruler, peut produire une telle lueur; car le soleil ou la lune, ce ne serait pas la meme lumiere. Chaque fois qu'on ouvrait la porte, la flamme s'echappait par-dessous. La blanche poitrine du Bonhomme de neige en recevait des reflets rouges.
– Je n'y puis plus tenir! C'est si bon lorsque la langue lui sort de la bouche!
La nuit fut longue, mais elle ne parut pas telle au Bonhomme de neige. Il etait plonge dans les idees les plus riantes. Au matin, la fenetre du cellier etait couverte de givre, formant les plus jolies arabesques qu'un Bonhomme de neige put souhaiter; seulement, elles cachaient le poele. La neige craquait plus que jamais; un beau froid sec, un vrai plaisir pour un Bonhomme de neige.
Un coq chantait en regardant le froid soleil d'hiver. Au loin dans la campagne, on entendait resonner la terre gelee sous les pas des chevaux s'en allant au labour, pendant que le conducteur faisait gaiement claquer son fouet en chantant quelque ronde campagnarde que repetait apres lui l'echo de la colline voisine.
Et pourtant le Bonhomme de neige n'etait pas gai. Il aurait du l'etre, mais il ne l'etait pas.
Aussi, quand tout concourt a realiser nos souhaits, nous cherchons dans l'impossible et l'inattendu ce qui pourrait arriver pour troubler notre repos; il semble que le bonheur n'est pas dans ce que l'on a la satisfaction de posseder, mais tout au contraire dans l'imprevu d'ou peut souvent sortir notre malheur.
C'est pour cela que le Bonhomme de neige ne pouvait se defendre d'un ardent desir de voir le poele, lui l'homme du froid auquel la chaleur pouvait etre si desastreuse. Et ses deux gros yeux de charbon de terre restaient fixes immuablement sur le poele qui continue a bruler sans se douter de l'attention attendrie dont il etait l'objet.
– Mauvaise maladie pour un Bonhomme de neige! pensait le chien. Ouah! ouah! Nous allons encore avoir un changement de temps!
Et cela arriva en effet: ce fut un degel. Et plus le degel grandissait, plus le Bonhomme de neige diminuait. Il ne disait rien; il ne se plaignait pas; c'etait mauvais signe. Un matin, il tomba en morceaux, et il ne resta de lui qu'une espece de manche a balai. Les enfants l'avaient plante en terre, et avaient construit autour leur Bonhomme de neige.
– Je comprends maintenant son envie, dit le chien. C'est ce qu'il avait dans le corps qui le tourmentait ainsi! Ouah! ouah!
Bientot apres, l'hiver disparut a son tour.
– Ouah! ouah! aboyait le chien; et une petite fille chantait dans la cour:
Ohe! voici l'hiver parti Et voici Fevrier fini! Chantons: Coucou! Chantons! Cui… uitte! Et toi, bon soleil, viens vite!
Personne ne pensait plus au Bonhomme de neige.
Bonne humeur
Mon pere m'a fait heriter ce que l'on peut heriter de mieux: ma bonne humeur. Qui etait-il, mon pere? Ceci n'avait sans doute rien a voir avec sa bonne humeur! Il etait vif et jovial, grassouillet et rondouillard, et son aspect exterieur ainsi que son for interieur etaient en parfait desaccord avec sa profession. Quelle etait donc sa profession, sa situation? Vous allez comprendre que si je l'avais ecrit et imprime tout au debut, il est fort probable que la plupart des lecteurs auraient repose mon livre apres l'avoir appris, en disant: «C'est horrible, je ne peux pas lire cela!» Et pourtant, mon pere n'etait pas un bourreau ou un valet de bourreau, bien au contraire! Sa profession le mettait parfois a la tete de la plus haute noblesse de ce monde, et il s'y trouvait d'ailleurs de plein droit et parfaitement a sa place. Il fallait qu'il soit toujours devant-devant l'eveque, devant les princes et les comtes… et il y etait. Mon pere etait cocher de corbillard!
Voila, je l'ai dit. Mais ecoutez la suite: les gens qui voyaient mon pere, haut perche sur son siege de cocher de cette diligence de la mort, avec son manteau noir qui lui descendait jusqu'aux pieds et son tricorne a franges noires, et qui voyaient ensuite son visage rond, et souriant, qui ressemblait a un soleil dessine, ne pensaient plus ni au chagrin, ni a la tombe, car son visage disait: «Ce n'est rien, cela ira beaucoup mieux que vous ne le pensez!»
C'est de lui que me vient cette habitude d'aller regulierement au cimetiere. C'est une promenade gaie, a condition que vous y alliez la joie dans le coeur-et puis je suis, comme mon pere l'avait ete, abonne au Courrier royal.