Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen
Alors que cette interessante bete etait encore levrier ou, pour parler plus exactement, levrette, elle fit lever un lievre qui me parut extremement gros. Ma chienne etait pleine a ce moment, et cela me peinait de voir les efforts qu’elle faisait pour courir aussi vite que d’habitude.
Tout a coup j’entendis des jappements, comme si c’eut ete une meute entiere qui les poussat, mais faibles et incertains, si bien que je ne savais d’ou cela partait: lorsque je me fus approche, je vis la chose la plus surprenante du monde.
Le lievre, ou plutot la hase, car c’etait une femelle, avait mis bas en courant; ma chienne en avait fait autant, et il etait ne precisement autant de petits lievres que de petits chiens. Par instinct les premiers avaient fui, et, par instinct aussi, les seconds les avaient non seulement poursuivis, mais pris, de sorte que je me trouvai terminer avec six chiens et six lievres une chasse que j’avais commencee avec un seul lievre et un seul chien.
Au souvenir de cette admirable chienne, je ne puis m’empecher de rattacher celui d’un excellent cheval lituanien, une bete sans prix! Je l’eus par suite d’un hasard qui me donna l’occasion de montrer glorieusement mon adresse de cavalier. Je me trouvais dans un des biens du comte Przobowski, en Lituanie, et j’etais reste dans le salon a prendre le the avec les dames, tandis que les hommes etaient alles dans la cour examiner un jeune cheval de sang arrive recemment du haras. Tout a coup nous entendimes un cri de detresse.
Je descendis en toute hate l’escalier, et je trouvai le cheval si furieux, que personne n’osait ni le montrer, ni meme l’approcher; les cavaliers les plus resolus restaient immobiles et fort embarrasses: l’effroi se peignait sur tous les visages lorsque d’un seul bond je m’elancai sur la croupe du cheval; je le surpris et le matai tout d’abord par cette hardiesse; mes talents hippiques acheverent de le dompter et de le rendre doux et obeissant. Afin de rassurer les dames, je fis sauter ma bete dans le salon en passant par la fenetre; je fis plusieurs tours au pas, au trot et au galop, et, pour terminer, je vins me placer sur la table meme, ou j’executai les plus elegantes evolutions de la haute ecole, ce qui rejouit fort la societe. Ma petite bete se laissa si bien mener, qu’elle ne cassa pas un verre, pas une tasse. Cet evenement me mit si fort en faveur aupres des dames et du comte, qu’il me pria avec sa courtoisie habituelle de vouloir bien accepter ce jeune cheval, qui me conduirait a la victoire dans la prochaine campagne contre les Turcs, qui allait s’ouvrir sous les ordres du comte Munich.
CHAPITRE IV Aventures du baron de Munchhausen dans la guerre contre les Turcs.
Certes, il eut ete difficile de me faire un cadeau plus agreable que celui-la, dont je me promettais beaucoup de bien pour la prochaine campagne et qui devait me servir a faire mes preuves. Un cheval aussi docile, aussi courageux, aussi ardent – un agneau et un bicephale tout a la fois -, devait me rappeler les devoirs du soldat, et en meme temps les faits heroiques accomplis par le jeune Alexandre dans ses fameuses guerres.
Le but principal de notre campagne etait de retablir l’honneur des armes russes qui avait quelque peu ete atteint sur le Pruth, du temps du tsar Pierre: nous y parvinmes apres de rudes mais de glorieux combats, et grace aux talents du grand general que j’ai nomme plus haut. La modestie interdit aux subalternes de s’attribuer de beaux faits d’armes; la gloire doit en revenir communement aux chefs, si nuls qu’ils soient, aux rois et au reines qui n’ont jamais senti bruler de poudre qu’a l’exercice, et n’ont jamais vu man?uvrer d’armee qu’a la parade.
Ainsi, je ne revendique pas la moindre part de la gloire que notre armee recueillit dans maint engagement. Nous fimes tous notre devoir, mot qui, dans la bouche du citoyen, du soldat, de l’honnete homme, a une signification beaucoup plus large que ne se l’imaginent messieurs les buveurs de biere. Comme je commandais alors un corps de hussards, j’eus a executer differentes expeditions ou l’on s’en remettait entierement a mon experience et a mon courage: pour etre juste, cependant, je dois dire ici qu’une grande part de mes succes revient a ces braves compagnons que je conduisais a la victoire.
Un jour que nous repoussions une sortie des Turcs sous les murs d’Oczakow, l’avant-garde se trouva chaudement engagee. J’occupais un poste assez avance; tout a coup je vis venir du cote de la ville un parti d’ennemis enveloppes d’un nuage de poussiere qui m’empechait d’apprecier le nombre et la distance. M’entourer d’un nuage semblable, c’eut ete un stratageme vulgaire, et cela m’eut, en outre, fait manquer mon but. Je deployai mes tirailleurs sur les ailes en leur recommandant de faire autant de poussiere qu’ils pourraient. Quant a moi, je me dirigeai droit sur l’ennemi, afin de savoir au juste ce qui en etait.
Je l’atteignis: il resista d’abord et tint bon jusqu’au moment ou mes tirailleurs vinrent jeter le desordre dans ses rangs. Nous le dispersames completement, en fimes un grand carnage et le refoulames non seulement dans la place, mais encore au-dela, de facon qu’il s’enfuit par la porte opposee, resultat que nous n’osions pas esperer.
Comme mon lituanien allait extremement vite, je me trouvai le premier sur le dos des fuyards, et, voyant que l’ennemi courait si bien vers l’autre issue de la ville, je jugeai bon de m’arreter sur la place du marche et de faire sonner le rassemblement. Mais figurez-vous mon etonnement, messieurs, en ne voyant autour de moi ni trompette ni aucun de mes hussards!
«Que sont-ils devenus? me dis-je; se seraient-ils repandus dans les rues?»
Ils ne pouvaient cependant pas etre bien loin, et ne devaient pas tarder a me rejoindre. En attendant, je menai mon lituanien a la fontaine qui occupait le milieu de la place, pour l’abreuver. Il se mit alors a boire d’une facon inconcevable, sans que cela parut le desalterer: j’eus bientot l’explication de ce phenomene singulier, car, en me retournant pour regarder si mes gens n’arrivaient pas, qu’imaginez-vous que je vis, messieurs? Tout l’arriere-train de mon cheval etait absent et coupe net. L’eau s’ecoulait par-derriere a mesure qu’elle entrait par-devant, sans que la bete en conservat rien.
Comment cela etait-il arrive? Je ne pouvais m’en rendre compte, lorsque, enfin, mon hussard arriva du cote oppose a celui par lequel j’etais venu et, a travers un torrent de cordiales felicitations et d’energiques jurons, me rapporta ce qui suit. Tandis que je m’etais jete pele-mele au milieu des fuyards, on avait brusquement laisse retomber la herse de la porte, qui avait tranche net l’arriere-train de mon cheval. Cette seconde partie de ma bete etait d’abord restee au milieu des ennemis et y avait exerce de terribles ravages; puis, ne pouvant penetrer dans la ville, elle s’etait dirigee vers un pre voisin, ou je la retrouverais sans aucun doute. Je tournai bride aussitot, et l’avant de mon cheval me mena au grand galop vers la prairie. A ma grande joie, j’y retrouvai en effet l’autre moitie qui se livrait aux evolutions les plus ingenieuses et passait gaiement le temps avec les juments qui erraient sur la pelouse.
Etant des lors bien assure que les deux parties de mon cheval etaient vivantes, j’envoyai chercher notre veterinaire. Sans perdre de temps, il les rajusta au moyen de rameaux de laurier qui se trouvaient la, et la blessure guerit heureusement. Il advint alors quelque chose qui ne pouvait arriver qu’a un animal aussi superieur. Les branches prirent racine dans son corps, pousserent, et formerent autour de moi comme un berceau a l’ombre duquel j’accomplis plus d’une action d’eclat.