Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
— Soyez sure que je ne vous oublierai pas, Madame !
Catherine s'inclina legerement puis murmura,
suave :
— J'en suis heureuse. Quant a moi, je n'ai jamais oublie votre Reverence.
C'est avec interet que je suivrai sa carriere.
Et, laissant la sa victime, Catherine s'en alla, lente et gracieuse, trainant derriere elle la vague verte et blanche de sa robe, pour retrouver Philippe qui, depuis un moment, suivait avec etonnement, de loin, son aparte avec l'aumonier de France. La voyant se diriger vers lui, il vint a sa rencontre et lui offrit la main. Nul ne s'avisa de le suivre. L'instinct des courtisans etait trop sur pour n'avoir pas compris que, desormais, Catherine de Brazey devait etre l'objet de toutes les attentions et de tous les egards.
— Qu'aviez-vous donc de si important a dire a notre eveque de Beauvais
? demanda-t-il en souriant. Vous etiez graves, tous deux, comme prelats en concile. Discutiez-vous un point de saint Augustin ? J'ignorais meme que vous le connussiez...
Nous discutions... un point d'histoire de France, Monseigneur ! Il y a fort longtemps que je connais Sa Reverence, dix ans a peu pres. Nous nous sommes beaucoup rencontres, jadis, a Paris. C'est ce temps-la que je lui rappelais...
S'interrompant, elle leva sur le duc son regard vide, brusquement humide de larmes et reprit, une colere contenue faisant vibrer sa voix :
— ... comment pouvez-vous employer... estimer un tel homme ? Un pretre qui a pris des bains de sang pour se hisser a son trone episcopal ?
Vous, le grand-duc d'Occident ?... C'est un miserable !
Philippe adorait qu'on lui donnat ce beau titre qui le flattait. Et l'emotion de Catherine le touchait au plus profond. Il se pencha vers elle afin d'etre sur de n'etre entendu de personne :
— Je le sais, mon c?ur ! Et si je l'emploie, c'est qu'il m'est utile. Mais de la a l'estimer, non ! Voyez- vous, lorsque l'on est prince souverain, il faut parfois se servir de toutes sortes d'instruments. Maintenant... souris-moi et viens ouvrir le bal ! Plus bas encore il ajouta : « Je t'aime plus que tout au monde ! »
Un pale sourire revint dans les yeux et sur les levres de Catherine. Les musiciens, dans leur tribune, attaquaient une pavane. Elle se laissa entrainer par le duc au milieu du vaste cercle, a la fois admiratif et envieux, que formaient les assistants.
Le jour des funerailles de Marguerite de Baviere, Catherine crut mourir de froid et d'angoisse a la fois. La duchesse douairiere s'etait eteinte rapidement, le 23 janvier 1424, trois mois apres le mariage de sa fille, dans les bras d'Ermengarde. Philippe, qui se trouvait alors a Montbard avec Arthur de Richemont, etait revenu trop tard pour revoir sa mere vivante et, depuis, une sombre desolation s'etait abattue a la fois sur le palais et sur la ville ou la defunte laissait de grands et sinceres regrets. Quelques jours plus tard, par un froid noir, la depouille mortelle fut conduite a sa derniere demeure, sous les voutes admirables de la Chartreuse de Champmol, aux portes de Dijon. La reposaient deja son epoux, Jean sans Peur, son beau-pere, Philippe le Hardi, et sa belle-fille, la douce Michelle de France.
Lorsque, tot le matin, alors que le jour n'etait pas encore leve, Perrine avait habille sa maitresse en vue de la longue journee de ceremonies, elle avait ete effrayee par la paleur de Catherine.
— Madame devrait rester ici, se faire excuser...
C'est impossible ! Dans une semblable occasion, il faut etre a la mort pour se dispenser d'assis ter aux funerailles. Ce serait offenser le duc dans sa douleur, repondit Catherine.
— Meme Madame... dans son etat ?
Catherine avait souri tristement.
— Oui, Perrine. Meme moi !
Deux personnes seulement, dans l'entourage de Catherine, savaient qu'elle etait enceinte : sa petite servante et Abou-al-Khayr qui, le premier, avait diagnostique la raison profonde d'un brusque evanouissement de la jeune femme aux environs de Noel. Depuis, la sante de Catherine etait tres chancelante, malgre les efforts qu'elle faisait pour le cacher. Elle supportait tres mal son etat et de frequentes nausees, depuis cette premiere perte de conscience, la torturaient. Elle ne pouvait plus endurer les odeurs de cuisine et, quand elle traversait le bourg, les relents des chaudieres des tripiers la revulsaient. Mais elle luttait courageusement pour tenter de cacher la verite, le plus longtemps possible, a son mari.
C'est que, depuis les fetes du mariage, ses relations avec Garin s'etaient singulierement deteriorees. Le Grand Argentier ne se departissait plus, envers elle, d'une glaciale politesse en public et, dans le prive, du moins quand il etait la, il ne lui adressait presque jamais la parole, sinon sur un ton blessant auquel Catherine ne comprenait rien. Evidemment, il savait, comme tout Dijon, la nature exacte de ses nouvelles relations avec le duc, mais qu'il songeat a s'en montrer offense, voila qui depassait l'entendement de la jeune femme. N'avait-il pas tout fait, tout mis en ?uvre pour qu'il en fut ainsi ?
Alors, pourquoi cette attitude meprisante que Catherine supportait mal ?
D'autant plus mal que, depuis un mois et demi, elle n'avait pratiquement pas revu Philippe, occupe aux soins de ses etats et toujours par les chemins. La tendresse passionnee qu'il lui montrait, la vigilante protection qu'il etendait sur elle lui devenaient peu a peu indispensables. En outre, il avait eveille son corps a l'amour et la jeune femme etait bien obligee de s'avouer qu'elle avait vecu aupres de lui des heures de delire difficiles a oublier... difficiles a ne pas souhaiter voir renouveler !
Perrine achevait d'habiller Catherine aussi chaudement que possible.
Obligee, comme toute la Cour au deuil integral, elle etait vetue de noir de la tete aux pieds, mais une fortune en zibeline rechauffait le velours epais de ses vetements. Un lourd voile noir tombait de l'atour a bourrelets de fourrure qui la coiffait. De courtes bottes fourrees, dissimulees par la robe et la cape, et des gants de velours de meme couleur completaient cet equipement dont aucun bijou ne relevait l'austerite. En principe Catherine etait bien protegee, mais il faisait si froid ! La jeune cameriste, peu rassuree, avait hoche la tete en regardant par la fenetre l'epaisse couche de neige qui couvrait les toits et se transformait peu a peu dans les rues, sous les pas des citadins, en boue glaciale ou en plaques dangereusement glissantes. Or, Catherine aurait a parcourir, a pied, un long trajet.
La messe solennelle, celebree a la Sainte-Chapelle tendue de noir, avait ete mortellement longue. Malgre la foret de cierges disposes autour de l'autel et du catafalque, il y regnait un froid intense. Toutes les haleines fumaient.
Mais le pire avait ete l'interminable cortege qui, au pas, avait serpente a travers la ville. Catherine avait gravi la un vrai calvaire !
Sous le jour livide, on avait defile entre les maisons drapees de noir, au son des trompettes funebres tandis que toutes les cloches de la ville sonnaient un glas qui ne finissait pas. La seule tache de couleur, dans ce cortege nocturne, etait le char funebre que Philippe avait voulu tout semblable a celui de son pere : six chevaux le trainaient et le corps embaume de la duchesse defunte reposait sous un drap de brocart d'or barre d'une grande croix de velours rouge. Aux quatre coins du char flottaient des bouquets de bannieres de soie bleue brodee d'or. Soixante porteurs de torches et une veritable armee de moines, pleurant et psalmodiant, l'entouraient. Philippe venait derriere, tete nue malgre le gel, tres pale et les yeux fixes. Toute la Cour, puis toute la ville avec les bannieres des corporations suivaient.
L'aspect du duc avait acheve de glacer le c?ur de Catherine. Il avait l'air d'un automate. Brusquement, sous l'empire du chagrin, Philippe etait redevenu pour elle le souverain inquietant... a qui, cependant, il allait falloir demander une difficile grace, et le plus vite possible ! La veille au soir, Colette, la vieille cameriste de Marie de Champdivers, etait venue trouver Catherine, en toute hate, et lui avait appris la terrible nouvelle : quelques heures plus tot, Odette et frere Etienne avaient ete arretes au couvent des Cordeliers tandis qu'un ordre d'exil immediat frappait les parents de la jeune femme. Seule, Colette etait restee en arriere pour avertir Catherine en qui Marie voyait son unique et dernier recours.