Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
Ce n'etait pas signe mais Catherine n'avait aucun besoin "de signature.
Elle froissa le papier en boule dans sa main et le fourra dans son aumoniere.
Tout a coup, elle respirait mieux. Le poids d'angoisse qui l'etreignait depuis la veille s'allegeait. Une lueur d'espoir lui venait de sauver bientot son amie.
Quand elle songeait a la frele et delicate Odette, jetee au fond d'un cachot par ce froid, chargee de chaines, pleurant de peur et de desespoir, elle s'affolait. Mais, grace au ciel, cette nuit meme, elle pourrait implorer la pitie de Philippe, arracher la liberte de son amie ! Les nausees qui l'avaient torturee toute la journee, la sensation de glace infiltree dans ses veines, tout cela s'estompa en songeant a cette perspective. Et puis, cette nuit, il y aurait Philippe... l'amour de Philippe, ses mains douces, ses mots tendres !
Aussi Catherine etait-elle presque gaie quand la litiere d'Ermengarde la deposa rue de la Parcheminerie.
Le jeune Lannoy etait bien a son poste quand Catherine frappa trois coups a la petite porte prise dans le haut mur du pourpris ducal. Le creve-feu etait sonne depuis longtemps, mais la nuit etait moins froide que ne l'avait ete le jour, grace a une abondante chute de neige tombee apres complies. Depuis son sejour a Marsannay, Catherine avait pris l'habitude de ces promenades nocturnes, qui non seulement ne l'effrayaient pas, mais l'amusaient, un peu comme une partie d'ecole buissonniere. Elle ne craignait rien du danger sournois des ruelles, des soldats ivres ou des coupe-bourses de Jacquot-de-
la- Mer. Une fois pour toutes, Abou-al-Khayr avait mis a sa disposition ses deux esclaves nubiens dont la gigantesque presence et les visages, plus noirs que la nuit elle-meme, mettaient en fuite les temeraires qui eussent tente de s'attaquer a une femme ainsi escortee. Bien nourris, chaudement vetus, les deux noirs muets valaient a eux seuls toute une troupe armee. Catherine le savait et pouvait ainsi se rendre, libre de toute crainte, aux rendez-vous de Philippe. C'etait de beaucoup la solution la plus pratique.
Jean de Lannoy sautait d'un pied sur l'autre dans la neige du jardin en se battant les flancs de ses bras pour se rechauffer. Il ouvrit avec enthousiasme a la visiteuse.
— C'est gentil a vous d'etre venue si vite, dame Catherine ! chuchota-t-il malicieusement. Il fait un froid de loup...
— C'est pour toi que je me suis hatee. J'ai craint que tu ne prennes froid...
— Autrement dit, Monseigneur me doit des remerciements, conclut le page en riant. D'autant plus qu'il vous attend avec impatience.
— Comment est-il ?
Lannoy eut une grimace qui signifiait « ni bien, ni mal », et prit la main de Catherine pour la guider a travers le jardin. La neige etait si epaisse qu'il fallait bien connaitre les lieux pour ne pas tomber dans les massifs. Sous la voute du palais, la jeune femme confia au page, comme d'habitude, Omar et Ali, ses gardes du corps, et s'elanca dans le petit escalier en spirale, pris dans une tourelle aveugle, qui menait droit chez le duc. Des chandelles de cire parfumee eclairaient ce colimacon tapisse de velours. Quelques instants plus tard, Catherine tombait dans les bras de Philippe. Il l'etreignit avec passion, sans prononcer une parole, couvrant de baisers fous son visage froid. Au bout d'un long moment, il la lacha, rabattit le capuchon de fourrure sur les epaules de la jeune femme, puis reprit son visage entre ses deux mains pour l'embrasser encore.
— Comme tu es belle ! chuchota-t-il d'une voix etranglee par l'emotion...
et comme tu m'as manque ! Quarante-cinq jours sans toi, sans ton sourire, sans tes levres. Mon amour... quelle eternite !
— Puisque je suis la, dit Catherine souriante en lui rendant son baiser, il faut oublier tout cela.
— Tu oublies si vite les mauvaises heures ? Pas moi... Et, malgre l'envie violente que j'avais de te retrouver, j'ai hesite, tantot, a t'imposer cette sortie nocturne. Tu etais si pale a la chapelle ! J'ai bien vu que tu avais failli te trouver mal...
— Le froid ! Toi aussi, tu etais pale...
Il l'etait encore. Contre elle, Catherine sentait trembler le grand corps maigre. Elle ne voulait pas lui annoncer tout de suite l'enfant a naitre parce qu'il n'eut peut-etre pas ose la toucher. Et elle sentait qu'il avait besoin d'elle, imperieusement. Un besoin physique... Sa figure etait creusee par les larmes recentes. Sur le corps de sa mere, il avait repandu un torrent de pleurs qui l'avaient epuise. Mais son air malheureux ne le rendait que plus cher a Catherine. Elle n'etait pas encore parvenue a demeler le sentiment bizarre qui la liait a Philippe. L'aimait-elle ? Si l'amour etait cette torture mentale, cette faim douloureuse qu'elle eprouvait chaque fois qu'elle evoquait le visage d'Arnaud, alors non, elle n'aimait pas Philippe. Mais s'il etait seulement tendresse, douceur, puissant attrait physique, peut-etre Philippe avait-il reellement pris un peu de son c?ur.
Il l'avait soulevee de terre, apres l'avoir debarrassee de son ample manteau et l'emportait vers le grand lit sur lequel il l'assit. Puis, il s'agenouilla devant elle pour la dechausser, il ota doucement les petites bottes de cuir noir, les bas de soie fine qui montaient jusqu'aux genoux. Un moment, il garda entre ses mains les minces pieds nus, posant un baiser sur chacun des ongles roses.
— Tu as froid, fit-il tendrement, je vais aviver le feu.
Trois troncs d'arbres empiles flambaient dans la cheminee, mais pour que les flammes fussent plus hautes et plus ardentes, le duc alla lui-meme chercher une brassee de branchages dans un debarras voisin et les empila sur les rondins. Le feu bondit... Philippe revint alors a Catherine et commenca a la devetir. Il apportait toujours un soin et une delicatesse extremes a lui oter ses vetements. Ses gestes, doux et caressants, etaient tout pleins d'une devotieuse adoration. C'etait une espece de rituel lent, un peu solennel, auquel tous deux se complaisaient parce qu'il exasperait le desir et rendait plus violente la tempete des sens qui suivait. Philippe ne se prosternait que pour mieux dominer ensuite...
Lorsque, longtemps apres, Catherine s'eveilla de la delicieuse torpeur ou s'etait noye son corps, sa joue reposait sur la poitrine de Philippe. Mais lui ne dormait pas. Legerement redresse sur un coude, il jouait avec la masse soyeuse des cheveux de sa maitresse etales sur la soie blanche des oreillers comme une nappe d'or pur dans laquelle jouaient les flammes. Voyant qu'elle avait les yeux ouverts, il lui sourit avec ce charme que prenait, dans le sourire, son long visage hautain, un peu severe.
— Pourquoi est-ce que je t'aime autant ? Tu mets du feu liquide dans mes veines comme aucune autre ne l'a jamais fait. Dis-moi ton secret ? Es-tu sorciere ?
— Je suis seulement moi, fit Catherine en riant.
Mais Philippe etait redevenu grave. Pensivement,
il la considerait avec une espece de respect.
C'est vrai. Cela dit tout. Tu es toi... un etre d'exception, moitie femme, moitie deesse... une entite rare et precieuse pour la conquete de laquelle des armees pourraient s'affronter. Il y a eu, jadis, une femme comme cela.
Pendant dix ans deux peuples se sont entr'egorges parce qu'elle avait abandonne l'un pour l'autre. Une grande capitale a brule, des hommes ont peri par milliers pour que l'epoux delaisse retrouvat son bien. Elle s'appelait Helene... Elle etait blonde, comme toi, moins que toi sans doute... Quelle autre femme, meme notre mere Eve, a jamais eu plus belle chevelure que la tienne... ma Toison d'Or !
— Quel joli nom ! s'ecria Catherine. Qu'est-ce que cela veut dire ?
Philippe la reprenait dans ses bras, la ramenait contre lui et la faisait taire d'un baiser.
— C'est encore une histoire de l'Antiquite. Je te la raconterai un autre jour...
— Pourquoi pas maintenant ?
— Devine..., fit-il en riant.