Contes merveilleux, Tome II
– Seulement mon pere peut acheter pour cent ecus d'or de friandises et les jeter dans la rue! Et pas le tien!
– Ce n'est rien, mon pere a moi, se vanta la fillette d'un redacteur, peut mettre ton pere et ton pere et tous les peres dans le journal! Tout le monde a peur de lui, dit maman, car c'est mon pere qui dirige le journal.
Et elle leva son petit nez comme si elle etait une vraie princesse qui doit pointer son nez en l'air.
Par la porte entrouverte, un garcon pauvre regardait. Il etait d'une famille si pauvre qu'il n'avait meme pas le droit d'entrer dans la chambre. Il avait aide la cuisiniere a faire tourner la broche et, en recompense, on l'autorisait a present a se placer pour un petit moment derriere la porte pour regarder ces enfants nobles, pour voir comme ils s'amusaient bien; c'etait un grand honneur pour lui.
– Oh, si je pouvais etre l'un d'eux! soupira-t-il.
Puis il entendit ce qu'il s'y disait et cela suffit a lui faire baisser la tete. Chez lui, on n'avait pas un ecu au fond du bahut, et on ne pouvait pas se permettre d'acheter les journaux et encore moins d'y ecrire. Et le pire de tout: le nom de son pere, et donc le sien aussi, se terminait par sen, il n'arriverait donc jamais a rien dans la vie. Quelle triste affaire! On ne pouvait pourtant pas dire qu'il n'etait pas ne, pas cela, il etait bel et bien ne, sinon il ne serait pas la.
Quelle soiree!
Quelques annees plus tard, les enfants devinrent adultes. Une magnifique maison fut construite dans la ville. Dans cette maison, il y avait plein d'objets somptueux, tout le monde voulait les voir, meme des gens qui n'habitaient pas la ville, venaient pour les regarder. Devinez a quel enfant de notre histoire appartenait cette maison? Et bien, la reponse est facile… ou plutot pas si facile que ca. Elle appartenait au pauvre garcon, parce qu'il etait quand meme devenu quelqu'un bien que son nom se terminat en sen, il s'appelait Thorvaldsen. Et les trois autres enfants? Ces enfants remplis d'orgueil pour leur titre, l'argent ou l'esprit? Ils n'avaient rien a s'envier les uns aux autres, ils etaient egaux… et comme ils avaient un bon fond, ils devinrent de bons et braves adultes. Et ce qu'ils avaient pense et dit autrefois n'etait que… papotage d'enfants.
La paquerette
Ecoutez bien cette petite histoire.
A la campagne, pres de la grande route, etait situee une gentille maisonnette que vous avez sans doute remarquee vous-meme. Sur le devant se trouve un petit jardin avec des fleurs et une palissade verte; non loin de la, sur le bord du fosse, au milieu de l'herbe epaisse, fleurissait une petite paquerette. Grace au soleil qui la chauffait de ses rayons aussi bien que les grandes et riches fleurs du jardin, elle s'epanouissait d'heure en heure. Un beau matin, entierement ouverte, avec ses petites feuilles blanches et brillantes, elle ressemblait a un soleil en miniature entoure de ses rayons. Qu'on l'apercut dans l'herbe et qu'on la regardat comme une pauvre fleur insignifiante, elle s'en inquietait peu. Elle etait contente, aspirait avec delices la chaleur du soleil, et ecoutait le chant de l'alouette qui s'elevait dans les airs.
Ainsi, la petite paquerette etait heureuse comme par un jour de fete, et cependant c'etait un lundi. Pendant que les enfants, assis sur les bancs de l'ecole, apprenaient leurs lecons, elle, assise sur sa tige verte, apprenait par la beaute de la nature la bonte de Dieu, et il lui semblait que tout ce qu'elle ressentait en silence, la petite alouette l'exprimait parfaitement par ses chansons joyeuses. Aussi regarda-t-elle avec une sorte de respect l'heureux oiseau qui chantait et volait, mais elle n'eprouva aucun regret de ne pouvoir en faire autant.
«Je vois et j'entends, pensa-t-elle; le soleil me rechauffe et le vent m'embrasse. Oh! j'aurais tort de me plaindre.»
En dedans de la palissade se trouvaient une quantite de fleurs roides et distinguees; moins elles avaient de parfum, plus elles se redressaient. Les pivoines se gonflaient pour paraitre plus grosses que les roses: mais ce n'est pas la grosseur qui fait la rose. Les tulipes brillaient par la beaute de leurs couleurs et se pavanaient avec pretention; elles ne daignaient pas jeter un regard sur la petite paquerette, tandis que la pauvrette les admirait en disant: «Comme elles sont riches et belles! Sans doute le superbe oiseau va les visiter. Dieu merci, je pourrai assister a ce beau spectacle.»
Et au meme instant, l'alouette dirigea son vol, non pas vers les pivoines et les tulipes, mais vers le gazon, aupres de la pauvre paquerette, qui, effrayee de joie, ne savait plus que penser.
Le petit oiseau se mit a sautiller autour d'elle en chantant: «Comme l'herbe est moelleuse! Oh! la charmante petite fleur au coeur d'or et a la robe d'argent!»
On ne peut se faire une idee du bonheur de la petite fleur. L'oiseau l'embrassa de son bec, chanta encore devant elle, puis il remonta dans l'azur du ciel. Pendant plus d'un quart d'heure, la paquerette ne put se remettre de son emotion. A moitie honteuse, mais ravie au fond du coeur, elle regarda les autres fleurs dans le jardin. Temoins de l'honneur qu'on lui avait rendu, elles devaient bien comprendre sa joie; mais les tulipes se tenaient encore plus roides qu'auparavant; leur figure rouge et pointue exprimait leur depit. Les pivoines avaient la tete toute gonflee. Quelle chance pour la pauvre paquerette qu'elles ne pussent parler! Elles lui auraient dit bien des choses desagreables. La petite fleur s'en apercut et s'attrista de leur mauvaise humeur.
Quelques moments apres, une jeune fille armee d'un grand couteau affile et brillant entra dans le jardin, s'approcha des tulipes et les coupa l'une apres l'autre.
– Quel malheur! dit la petite paquerette en soupirant; voila qui est affreux; c'en est fait d'elles.
Et pendant que la jeune fille emportait les tulipes, la paquerette se rejouissait de n'etre qu'une pauvre petite fleur dans l'herbe. Appreciant la bonte de Dieu, et pleine de reconnaissance, elle referma ses feuilles au declin du jour, s'endormit et reva toute la nuit au soleil et au petit oiseau.
Le lendemain matin, lorsque la paquerette eut rouvert ses feuilles a l'air et a la lumiere, elle reconnut la voix de l'oiseau, mais son chant etait tout triste. La pauvre alouette avait de bonnes raisons pour s'affliger: on l'avait prise et enfermee dans une cage suspendue a une croisee ouverte. Elle chantait le bonheur de la liberte, la beaute des champs verdoyants et ses anciens voyages a travers les airs.
La petite paquerette aurait bien voulu lui venir en aide: mais comment faire? C'etait chose difficile. La compassion qu'elle eprouvait pour le pauvre oiseau captif lui fit tout a fait oublier les beautes qui l'entouraient, la douce chaleur du soleil et la blancheur eclatante de ses propres feuilles.
Bientot deux petits garcons entrerent dans le jardin; le plus grand portait a la main un couteau long et affile comme celui de la jeune fille qui avait coupe les tulipes. Ils se dirigerent vers la paquerette, qui ne pouvait comprendre ce qu'ils voulaient.
– Ici nous pouvons enlever un beau morceau de gazon pour l'alouette, dit l'un des garcons, et il commenca a tailler un carre profond autour de la petite fleur.
– Arrache la fleur! dit l'autre.
A ces mots, la paquerette trembla d'effroi. Etre arrachee, c'etait perdre la vie; et jamais elle n'avait tant beni l'existence qu'en ce moment ou elle esperait entrer avec le gazon dans la cage de l'alouette prisonniere.
– Non, laissons-la, repondit le plus grand; elle est tres bien placee.
Elle fut donc epargnee et entra dans la cage de l'alouette.
Le pauvre oiseau, se plaignant amerement de sa captivite, frappait de ses ailes le fil de fer de la cage. La petite paquerette ne pouvait, malgre tout son desir, lui faire entendre une parole de consolation.