Contes merveilleux, Tome II
Ainsi se passa la matinee.
– Il n'y a plus d'eau ici, s'ecria le prisonnier; tout le monde est sorti sans me laisser une goutte d'eau. Mon gosier est sec et brulant, j'ai une fievre terrible, j'etouffe! Helas! il faut donc que je meure, loin du soleil brillant, loin de la fraiche verdure et de toutes les magnificences de la creation!
Puis il enfonca son bec dans le gazon humide pour se rafraichir un peu. Son regard tomba sur la petite paquerette; il lui fit un signe de tete amical, et dit en l'embrassant:
– Toi aussi, pauvre petite fleur, tu periras ici! En echange du monde que j'avais a ma disposition, l'on m'a donne quelques brins d'herbe et toi seule pour societe. Chaque brin d'herbe doit etre pour moi un arbre; chacune de tes feuilles blanches, une fleur odoriferante. Ah! tu me rappelles tout ce que j'ai perdu!
«Si je pouvais le consoler?», pensait la paquerette, incapable de faire un mouvement. Cependant le parfum qu'elle exhalait devint plus fort qu'a l'ordinaire; l'oiseau s'en apercut, et quoiqu'il languit d'une soif devorante qui lui faisait arracher tous les brins d'herbe l'un apres l'autre, il eut bien garde de toucher a la fleur.
Le soir arriva; personne n'etait encore la pour apporter une goutte d'eau a la malheureuse alouette. Alors elle etendit ses belles ailes en les secouant convulsivement, et fit entendre une petite chanson melancolique. Sa petite tete s'inclina vers la fleur, et son coeur brise de desir et de douleur cessa de battre. A ce triste spectacle, la petite paquerette ne put, comme la veille, refermer ses feuilles pour dormir; malade de tristesse, elle se pencha vers la terre.
Les petits garcons ne revinrent que le lendemain. A la vue de l'oiseau mort, ils verserent des larmes et lui creuserent une fosse. Le corps, enferme dans une jolie boite rouge, fut enterre royalement, et sur la tombe recouverte ils semerent des feuilles de roses.
Pauvre oiseau! pendant qu'il vivait et chantait, on l'avait oublie dans sa cage et laisse mourir de misere; apres sa mort, on le pleurait et on lui prodiguait des honneurs.
Le gazon et la paquerette furent jetes dans la poussiere sur la grande route; personne ne pensa a celle qui avait si tendrement aime le petit oiseau.
La petite fille aux allumettes
Il faisait effroyablement froid; il neigeait depuis le matin; il faisait deja sombre; le soir approchait, le soir du dernier jour de l'annee. Au milieu des rafales, par ce froid glacial, une pauvre petite fille marchait dans la rue: elle n'avait rien sur la tete, elle etait pieds nus. Lorsqu'elle etait sortie de chez elle le matin, elle avait eu de vieilles pantoufles beaucoup trop grandes pour elle. Aussi les perdit-elle lorsqu'elle eut a se sauver devant une file de voitures; les voitures passees, elle chercha apres ses chaussures; un mechant gamin s'enfuyait emportant en riant l'une des pantoufles; l'autre avait ete entierement ecrasee.
Voila la malheureuse enfant n'ayant plus rien pour abriter ses pauvres petits petons. Dans son vieux tablier, elle portait des allumettes: elle en tenait a la main un paquet. Mais, ce jour, la veille du nouvel an, tout le monde etait affaire; par cet affreux temps, personne ne s'arretait pour considerer l'air suppliant de la petite qui faisait pitie. La journee finissait, et elle n'avait pas encore vendu un seul paquet d'allumettes. Tremblante de froid et de faim, elle se trainait de rue en rue.
Des flocons de neige couvraient sa longue chevelure blonde. De toutes les fenetres brillaient des lumieres: de presque toutes les maisons sortait une delicieuse odeur, celle de l'oie, qu'on rotissait pour le festin du soir: c'etait la Saint-Sylvestre. Cela, oui, cela lui faisait arreter ses pas errants.
Enfin, apres avoir une derniere fois offert en vain son paquet d'allumettes, l'enfant apercoit une encoignure entre deux maisons, dont l'une depassait un peu l'autre. Harassee, elle s'y assied et s'y blottit, tirant a elle ses petits pieds: mais elle grelotte et frissonne encore plus qu'avant et cependant elle n'ose rentrer chez elle. Elle n'y rapporterait pas la plus petite monnaie, et son pere la battrait.
L'enfant avait ses petites menottes toutes transies.»Si je prenais une allumette, se dit-elle, une seule pour rechauffer mes doigts?» C'est ce qu'elle fit. Quelle flamme merveilleuse c'etait! Il sembla tout a coup a la petite fille qu'elle se trouvait devant un grand poele en fonte, decore d'ornements en cuivre. La petite allait etendre ses pieds pour les rechauffer, lorsque la petite flamme s'eteignit brusquement: le poele disparut, et l'enfant restait la, tenant en main un petit morceau de bois a moitie brule.
Elle frotta une seconde allumette: la lueur se projetait sur la muraille qui devint transparente. Derriere, la table etait mise: elle etait couverte d'une belle nappe blanche, sur laquelle brillait une superbe vaisselle de porcelaine. Au milieu, s'etalait une magnifique oie rotie, entouree de compote de pommes: et voila que la bete se met en mouvement et, avec un couteau et une fourchette fixes dans sa poitrine, vient se presenter devant la pauvre petite. Et puis plus rien: la flamme s'eteint.
L'enfant prend une troisieme allumette, et elle se voit transportee pres d'un arbre de Noel, splendide. Sur ses branches vertes, brillaient mille bougies de couleurs: de tous cotes, pendait une foule de merveilles. La petite etendit la main pour saisir la moins belle: l'allumette s'eteint. L'arbre semble monter vers le ciel et ses bougies deviennent des etoiles: il y en a une qui se detache et qui redescend vers la terre, laissant une trainee de feu.
«Voila quelqu'un qui va mourir» se dit la petite. Sa vieille grand-mere, le seul etre qui l'avait aimee et cherie, et qui etait morte il n'y avait pas longtemps, lui avait dit que lorsqu'on voit une etoile qui file, d'un autre cote une ame monte vers le paradis. Elle frotta encore une allumette: une grande clarte se repandit et, devant l'enfant, se tenait la vieille grand-mere.
– Grand-mere, s'ecria la petite, grand-mere, emmene-moi. Oh! tu vas me quitter quand l'allumette sera eteinte: tu t'evanouiras comme le poele si chaud, le superbe roti d'oie, le splendide arbre de Noel. Reste, je te prie, ou emporte-moi.
Et l'enfant alluma une nouvelle allumette, et puis une autre, et enfin tout le paquet, pour voir la bonne grand-mere le plus longtemps possible. La grand-mere prit la petite dans ses bras et elle la porta bien haut, en un lieu ou il n'y avait plus ni de froid, ni de faim, ni de chagrin: c'etait devant le trone de Dieu.
Le lendemain matin, cependant, les passants trouverent dans l'encoignure le corps de la petite; ses joues etaient rouges, elle semblait sourire; elle etait morte de froid, pendant la nuit qui avait apporte a tant d'autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main, toute raidie, les restes brules d'un paquet d'allumettes.
– Quelle sottise! dit un sans-coeur. Comment a-t-elle pu croire que cela la rechaufferait? D'autres verserent des larmes sur l'enfant; c'est qu'ils ne savaient pas toutes les belles choses qu'elle avait vues pendant la nuit du nouvel an, c'est qu'ils ignoraient que, si elle avait bien souffert, elle goutait maintenant dans les bras de sa grand-mere la plus douce felicite.