Contes merveilleux, Tome I
Les amours d'un faux col
Il y avait une fois un elegant cavalier, dont tout le mobilier se composait d'un tire-botte et d'une brosse a cheveux.-Mais il avait le plus beau faux col qu'on eut jamais vu. Ce faux col etait parvenu a l'age ou l'on peut raisonnablement penser au mariage; et un jour, par hasard, il se trouva dans le cuvier a lessive en compagnie d'une jarretiere. «Mille boutons! s'ecria-t-il, jamais je n'ai rien vu d'aussi fin et d'aussi gracieux. Oserai-je, mademoiselle, vous demander votre nom?
– Que vous importe, repondit la jarretiere.
– Je serais bien heureux de savoir ou vous demeurez.» Mais la jarretiere, fort reservee de sa nature, ne jugea pas a propos de repondre a une question si indiscrete. «Vous etes, je suppose, une espece de ceinture? continua sans se deconcerter le faux col, et je ne crains pas d'affirmer que les qualites les plus utiles sont jointes en vous aux graces les plus seduisantes.
– Je vous prie, monsieur, de ne plus me parler, je ne pense pas vous en avoir donne le pretexte en aucune facon.
– Ah! mademoiselle, avec une aussi jolie personne que vous, les pretextes ne manquent jamais. On n'a pas besoin de se battre les flancs: on est tout de suite inspire, entraine.
– Veuillez vous eloigner, monsieur, je vous prie, et cesser vos importunites.
– Mademoiselle, je suis un gentleman, dit fierement le faux col; je possede un tire-botte et une brosse a cheveux.» Il mentait impudemment: car c'etait a son maitre que ces objets appartenaient; mais il savait qu'il est toujours bon de se vanter.
«Encore une fois, eloignez-vous, repeta la jarretiere, je ne suis pas habituee a de pareilles manieres.
– Eh bien! vous n'etes qu'une prude!» lui dit le faux col qui voulut avoir le dernier mot. Bientot apres on les tira l'un et l'autre de la lessive, puis ils furent empeses, etales au soleil pour secher, et enfin places sur la planche de la repasseuse. La patine a repasser arriva[1]. «Madame, lui dit le faux col, vous m'avez positivement ranime: je sens en moi une chaleur extraordinaire, toutes mes rides ont disparu. Daignez, de grace, en m'acceptant pour epoux, me permettre de vous consacrer cette nouvelle jeunesse que je vous dois.
[Note 1: Le mot qui designe le fer a repasser en danois est feminin.]
– Imbecile!» dit la machine en passant sur le faux col avec la majestueuse impetuosite d'une locomotive qui entraine des wagons sur le chemin de fer. Le faux col etait un peu effrange sur ses bords, une paire de ciseaux se presenta pour l'emonder.
«Oh! lui dit le faux col, vous devez etre une premiere danseuse; quelle merveilleuse agilite vous avez dans les jambes! Jamais je n'ai rien vu de plus charmant; aucun homme ne saurait faire ce que vous faites.
– Bien certainement, repondit la paire de ciseaux en continuant son operation.
– Vous meriteriez d'etre comtesse; tout ce que je possede, je vous l'offre en vrai gentleman (c'est-a-dire moi, mon tire-botte et ma brosse a cheveux).
– Quelle insolence! s'ecria la paire de ciseaux; quelle fatuite!» Et elle fit une entaille si profonde au faux col, qu'elle le mit hors de service.
«Il faut maintenant, pensa-t-il, que je m'adresse a la brosse a cheveux.» «Vous avez, mademoiselle, la plus magnifique chevelure; ne pensez-vous pas qu'il serait a propos de vous marier?
– Je suis fiancee au tire-botte, repondit-elle.
– Fiancee!» s'ecria le faux col.
Il regarda autour de lui, et ne voyant plus d'autre objet a qui adresser ses hommages, il prit, des ce moment, le mariage en haine. Quelque temps apres, il fut mis dans le sac d'un chiffonnier, et porte chez le fabricant de papier. La, se trouvait une grande reunion de chiffons, les fins d'un cote, et les plus communs de l'autre. Tous ils avaient beaucoup a raconter, mais le faux col plus que pas un. Il n'y avait pas de plus grand fanfaron. «C'est effrayant combien j'ai eu d'aventures, disait il, et surtout d'aventures d'amour! mais aussi j'etais un gentleman des mieux poses; j'avais meme un tire-botte et une brosse dont je ne me servais guere. Je n'oublierai jamais ma premiere passion: c'etait une petite ceinture bien gentille et gracieuse au possible; quand je la quittai, elle eut tant de chagrin qu'elle alla se jeter dans un baquet plein d'eau. Je connus ensuite une certaine veuve qui etait litteralement tout en feu pour moi; mais je lui trouvais le teint par trop anime, et je la laissai se desesperer si bien qu'elle en devint noire comme du charbon. Une premiere danseuse, veritable demon pour le caractere emporte, me fit une blessure terrible, parce que je me refusais a l'epouser. Enfin, ma brosse a cheveux s'eprit de moi si eperdument qu'elle en perdit tous ses crins. Oui, j'ai beaucoup vecu; mais ce que je regrette surtout, c'est la jarretiere… je veux dire la ceinture qui se noya dans le baquet. Helas! il n'est que trop vrai, j'ai bien des crimes sur la conscience; il est temps que je me purifie en passant a l'etat de papier blanc.» Et le faux col fut, ainsi que les autres chiffons, transforme en papier.
Mais la feuille provenant de lui n'est pas restee blanche-c'est precisement celle sur laquelle a ete d'abord retracee sa propre histoire. Tous ceux qui, comme lui, ont accoutume de se glorifier de choses qui sont tout le contraire de la verite, ne sont pas de meme jetes au sac du chiffonnier, changes en papier et obliges, sous cette forme, de faire l'aveu public et detaille de leurs hableries. Mais qu'ils ne se prevalent pas trop de cet avantage; car, au moment meme ou ils se vantent, chacun lit sur leur visage, dans leur air et dans leurs yeux, aussi bien que si c'etait ecrit: «Il n'y a pas un mot de vrai dans ce que je vous dis. Au lieu de grand vainqueur que je pretends etre, ne voyez en moi qu'un chetif faux col dont un peu d'empois et de bavardage composent tout le merite.»
Les aventures du chardon
Devant un riche chateau seigneurial s'etendait un beau jardin, bien tenu, plante d'arbres et de fleurs rares. Les personnes qui venaient rendre visite au proprietaire exprimaient leur admiration pour ces arbustes apportes des pays lointains pour ces parterres disposes avec tant d'art; et l'on voyait aisement que ces compliments n'etaient pas de leur part de simples formules de politesse. Les gens d'alentour, habitants des bourgs et des villages voisins venaient le dimanche demander la permission de se promener dans les magnifiques allees. Quand les ecoliers se conduisaient bien, on les menait la pour les recompenser de leur sagesse. Tout contre le jardin, mais en dehors, au pied de la haie de cloture, on trouvait un grand et vigoureux chardon; de sa racine vivace poussait des branches de tous cotes, il formait a lui seul comme un buisson. Personne n'y faisait pourtant la moindre attention, hormis le vieil ane qui trainait la petite voiture de la laitiere. Souvent la laitiere l'attachait non loin de la, et la bete tendait tant qu'elle pouvait son long cou vers le chardon, en disant: «Que tu es donc beau!… Tu es a croquer!» Mais le licou etait trop court, et l'ane en etait pour ses tendres coups d'oeil et pour ses compliments. Un jour une nombreuse societe est reunie au chateau. Ce sont toutes personnes de qualite, la plupart arrivant de la capitale. Il y a parmi elles beaucoup de jolies jeunes filles. L'une d'elles, la plus jolie de toutes, vient de loin. Originaire d'Ecosse, elle est d'une haute naissance et possede de vastes domaines, de grandes richesses. C'est un riche parti: «Quel bonheur de l'avoir pour fiancee!» disent les jeunes gens, et leurs meres disent de meme. Cette jeunesse s'ebat sur les pelouses, joue au ballon et a divers jeux. Puis on se promene au milieu des parterres, et, comme c'est l'usage dans le Nord, chacune des jeunes filles cueille une fleur et l'attache a la boutonniere d'un des jeunes messieurs. L'etrangere met longtemps a choisir sa fleur; aucune ne parait etre a son gout. Voila que ses regards tombent sur la haie, derriere laquelle s'eleve le buisson de chardons avec ses grosses fleurs rouges et bleues. Elle sourit et prie le fils de la maison d'aller lui en cueillir une: «C'est la fleur de mon pays, dit-elle, elle figure dans les armes d'Ecosse; donnez-la-moi, je vous prie.» Le jeune homme s'empresse d'aller cueillir la plus belle, ce qu'il ne fit pas sans se piquer fortement aux epines. La jeune Ecossaise lui met a la boutonniere cette fleur vulgaire, et il s'en trouve singulierement flatte. Tous les autres jeunes gens auraient volontiers echange leurs fleurs rares contre celle offerte par la main de l'etrangere. Si le fils de la maison se rengorgeait, qu'etait-ce donc du chardon? Il ne se sentait plus d'aise; il eprouvait une satisfaction, un bien-etre, comme lorsque apres une bonne rosee, les rayons du soleil venaient le rechauffer.» Je suis donc quelque chose de bien plus releve que je n'en ai l'air, pensait-il en lui-meme. Je m'en etais toujours doute. A bien dire, je devrais etre en dedans de la haie et non pas au dehors. Mais, en ce monde, on ne se trouve pas toujours place a sa vraie place. Voici du moins une de mes filles qui a franchi la haie et qui meme se pavane a la boutonniere d'un beau cavalier.» Il raconta cet evenement a toutes les pousses qui se developperent sur son tronc fertile, a tous les boutons qui surgirent sur ses branches. Peu de jours s'etaient ecoules lorsqu'il apprit, non par les paroles des passants, non par les gazouillements des oiseaux, mais par ces mille echos qui lorsqu'on laisse les fenetres ouvertes, repandent partout ce qui se dit dans l'interieur des appartements, il apprit, disons-nous, que le jeune homme qui avait ete decore de la fleur de chardon par la belle Ecossaise avait aussi obtenu son coeur et sa main.» C'est moi qui les ai unis, c'est moi qui ai fait ce mariage!» s'ecria le chardon, et plus que jamais, il raconta le memorable evenement a toutes les fleurs nouvelles dont ses branches se couvraient.» Certainement, se dit-il encore, on va me transplanter dans le jardin, je l'ai bien merite. Peut-etre meme serai-je mis precieusement dans un pot ou mes racines seront bien serrees dans du bon fumier. Il parait que c'est la le plus grand honneur que les plantes puissent recevoir. Le lendemain, il etait tellement persuade que les marques de distinction allaient pleuvoir sur lui, qu'a la moindre de ses fleurs, il promettait que bientot on les mettrait tous dans un pot de faience, et que pour elle, elle ornerait peut-etre la boutonniere d'un elegant, ce qui etait la plus rare fortune qu'une fleur de chardon put rever. Ces hautes esperances ne se realiserent nullement; point de pot de faience ni de terre cuite; aucune boutonniere ne se fleurit plus aux depens du buisson. Les fleurs continuerent de respirer l'air et la lumiere, de boire les rayons du soleil le jour, et la rosee la nuit; elles s'epanouirent et ne recurent que la visite des abeilles et des frelons qui leur derobaient leur suc.» Voleurs, brigands! s'ecriait le chardon indigne, que ne puis-je vous transpercer de mes dards! Comment osez-vous ravir leur parfum a ces fleurs qui sont destinees a orner la boutonniere des galants!» Quoi qu'il put dire, il n'y avait pas de changement dans sa situation. Les fleurs finissaient par laisser pencher leurs petites tetes. Elles palissaient, se fanaient; mais il en poussait toujours de nouvelles: a chacune qui naissait, le pere disait avec une inalterable confiance: «Tu viens comme maree en careme, impossible d'eclore plus a propos. J'attends a chaque minute le moment ou nous passerons de l'autre cote de la haie.» Quelques marguerites innocentes, un long et maigre plantin qui poussaient dans le voisinage, entendaient ces discours, et y croyaient naivement. Ils en concurent une profonde admiration pour le chardon, qui, en retour, les considerait avec le plus complet mepris. Le vieil ane, quelque peu sceptique par nature, n'etait pas aussi sur de ce que proclamait avec tant d'assurance le chardon. Toutefois, pour parer a toute eventualite, il fit de nouveaux efforts pour attraper ce cher chardon avant qu'il fut transporte en des lieux inaccessibles. En vain il tira sur son licou; celui-ci etait trop court et il ne put le rompre. A force de songer au glorieux chardon qui figure dans les armes d'Ecosse, notre chardon se persuada que c'etait un de ses ancetres; qu'il descendait de cette illustre famille et etait issu de quelque rejeton venu d'Ecosse en des temps recules. C'etaient la des pensees elevees, mais les grandes idees allaient bien au grand chardon qu'il etait, et qui formait un buisson a lui tout seul. Sa voisine, l'ortie, l'approuvait fort…» Tres souvent, dit-elle, on est de haute naissance sans le savoir; cela se voit tous les jours. Tenez, moi-meme, je suis sure de n'etre pas une plante vulgaire. N'est-ce pas moi qui fournis la plus fine mousseline, celle dont s'habillent les reines?» L'ete se passe, et ensuite l'automne. Les feuilles des arbres tombent. Les fleurs prennent des teintes plus foncees et ont moins de parfum. Le garcon jardinier, en recueillant les tiges sechees, chante a tue-tete: Amont, aval! En haut, en bas! C'est la tout le cours de la vie! Les jeunes sapins du bois recommencent a penser a Noel, a ce beau jour ou on les decore de rubans, de bonbons et de petites bougies. Ils aspirent a ce brillant destin, quoiqu'il doive leur en couter la vie.» Comment, je suis encore ici! dit le chardon, et voila huit jours que les noces ont ete celebrees! C'est moi pourtant qui ai fait ce mariage, et personne n'a l'air de penser a moi, pas plus que si je n'existais point. On me laisse pour reverdir. Je suis trop fier pour faire un pas vers ces ingrats, et d'ailleurs, le voudrais-je, je ne puis bouger. Je n'ai rien de mieux a faire qu'a patienter encore.» Quelques semaines se passerent. Le chardon restait la, avec son unique et derniere fleur; elle etait grosse et pleine, on eut presque dit une fleur d'artichaut; elle avait pousse pres de la racine, c'etait une fleur robuste. Le vent froid souffla sur elle; ses vives couleurs disparurent; elle devint comme un soleil argente. Un jour le jeune couple, maintenant mari et femme, vint se promener dans le jardin. Ils arriverent pres de la haie, et la belle Ecossaise regarda par dela dans les champs: «Tiens! dit-elle, voila encore le grand chardon, mais il n'a plus de fleurs!