Contes merveilleux, Tome I
– Mais si, en voila encore une, ou du moins son spectre, dit le jeune homme en montrant le calice desseche et blanchi.
– Tiens, elle est fort jolie comme cela! reprit la jeune dame. Il nous la faut prendre, pour qu'on la reproduise sur le cadre de notre portrait a tous deux.»
Le jeune homme dut franchir de nouveau la haie et cueillir la fleur fanee. Elle le piqua de la bonne facon: ne l'avait-il pas appelee un spectre? Mais il ne lui en voulut pas: sa jeune femme etait contente. Elle rapporta la fleur dans le salon. Il s'y trouvait un tableau representant les jeunes epoux: le mari etait peint une fleur de chardon a sa boutonniere. On parla beaucoup de cette fleur et de l'autre, la derniere, qui brillait comme de l'argent et qu'on devait ciseler sur le cadre. L'air emporta au loin tout ce qu'on dit.» Ce que c'est que la vie, dit le chardon: ma fille ainee a trouve place a une boutonniere, et mon dernier rejeton a ete mis sur un cadre dore. Et moi, ou me mettra-t-on?» L'ane etait attache non loin: il louchait vers le chardon: «Si tu veux etre bien, tout a fait bien, a l'abri de la froidure, viens dans mon estomac, mon bijou. Approche; je ne puis arriver jusqu'a toi, ce maudit licou n'est pas assez long.» Le chardon ne repondit pas a ces avances grossieres. Il devint de plus en plus songeur, et, a force de tourner et retourner ses pensees, il aboutit, vers Noel, a cette conclusion qui etait bien au-dessus de sa basse condition: «Pourvu que mes enfants se trouvent bien la ou ils sont, se dit-il; moi, leur pere, je me resignerai a rester en dehors de la haie, a cette place ou je suis ne.
– Ce que vous pensez la vous fait honneur, dit le dernier rayon de soleil. Aussi vous en serez recompense.
– Me mettra-t-on dans un pot ou sur un cadre? demanda le chardon.
– On vous mettra dans un conte», eut le temps de repondre le rayon avant de s'eclipser.
La bergere et le ramoneur
As-tu jamais vu une tres vieille armoire de bois noircie par le temps et sculptee de fioritures et de feuillages? Dans un salon, il y en avait une de cette espece, heritee d'une aieule, ornee de haut en bas de roses, de tulipes et des plus etranges volutes entremelees de tetes de cerfs aux grands bois. Au beau milieu de l'armoire se decoupait un homme entier, tout a fait grotesque; on ne pouvait vraiment pas dire qu'il riait, il grimacait; il avait des pattes de bouc, des cornes sur le front et une longue barbe. Les enfants de la maison l'appelaient le «sergentmajorgeneralcommandantenchefauxpiedsdebouc».
Evidemment, peu de gens portent un tel titre et il est assez long a prononcer, mais il est rare aussi d'etre sculpte sur une armoire.
Quoi qu'il en soit, il etait la! Il regardait constamment la table placee sous la glace car sur cette table se tenait une ravissante petite bergere en porcelaine, portant des souliers d'or, une robe coquettement retroussee par une rose rouge, un chapeau dore et sa houlette de bergere. Elle etait delicieuse! Tout pres d'elle, se tenait un petit ramoneur, noir comme du charbon, lui aussi en porcelaine. Il etait aussi propre et soigne que quiconque; il representait un ramoneur, voila tout, mais le fabricant de porcelaine aurait aussi bien pu faire de lui un prince, c'etait tout comme.
Il portait tout gentiment son echelle, son visage etait rose et blanc comme celui d'une petite fille, ce qui etait une erreur, car pour la vraisemblance il aurait pu etre un peu noir aussi de visage. On l'avait pose a cote de la bergere, et puisqu'il en etait ainsi, ils s'etaient fiances, ils se convenaient, jeunes tous les deux, de meme porcelaine et egalement fragiles.
Tout pres d'eux et bien plus grand, etait assis un vieux Chinois en porcelaine qui pouvait hocher de la tete. Il disait qu'il etait le grand-pere de la petite bergere; il pretendait meme avoir autorite sur elle, c'est pourquoi il inclinait la tete vers le «sergentmajorgeneralcommandantenchefauxpiedsdebouc» qui avait demande la main de la bergere.
– Tu auras la, dit le vieux Chinois, un mari qu'on croirait presque fait de bois d'acajou, qui peut te donner un titre ronflant, qui possede toute l'argenterie de l'armoire, sans compter ce qu'il garde dans des cachettes mysterieuses.
– Je ne veux pas du tout aller dans la sombre armoire, protesta la petite bergere, je me suis laisse dire qu'il y avait la-dedans onze femmes en porcelaine!
– Eh bien! tu seras la douzieme. Cette nuit, quand la vieille armoire se mettra a craquer, vous vous marierez, aussi vrai que je suis Chinois. Et il s'endormit.
La petite bergere pleurait, elle regardait le ramoneur de porcelaine, le cheri de son coeur.
– Je crois, dit-elle, que je vais te demander de partir avec moi dans le vaste monde. Nous ne pouvons plus rester ici.
– Je veux tout ce que tu veux, repondit-il; partons immediatement, je pense que mon metier me permettra de te nourrir.
– Je voudrais deja que nous soyons sains et saufs au bas de la table, dit-elle, je ne serai heureuse que quand nous serons partis.
Il la consola de son mieux et lui montra ou elle devait poser son petit pied sur les feuillages sculptes longeant les pieds de la table; son echelle les aida du reste beaucoup.
Mais quand ils furent sur le parquet et qu'ils leverent les yeux vers l'armoire, ils y virent une terrible agitation. Les cerfs avancaient la tete, dressaient leurs bois et tournaient le cou, le «sergentmajorgeneralcommandantenchefauxpiedsdebouc» bondit et cria:
– Ils se sauvent! Ils se sauvent!
Effrayes, les jeunes gens sauterent rapidement dans le tiroir du bas de l'armoire. Il y avait la quatre jeux de cartes incomplets et un petit theatre de poupees, monte tant bien que mal. On y jouait la comedie, les dames de carreau et de coeur, de trefle et de pique, assises au premier rang, s'eventaient avec leurs tulipes, les valets se tenaient debout derriere elles et montraient qu'ils avaient une tete en haut et une en bas, comme il sied quand on est une carte a jouer. La comedie racontait l'histoire de deux amoureux qui ne pouvaient pas etre l'un a l'autre. La bergere en pleurait, c'etait un peu sa propre histoire.
– Je ne peux pas le supporter, dit-elle, sortons de ce tiroir.
Mais des qu'ils furent a nouveau sur le parquet, levant les yeux vers la table, ils apercurent le vieux Chinois reveille qui vacillait de tout son corps. Il s'effondra comme une masse sur le parquet.
– Voila le vieux Chinois qui arrive, cria la petite bergere, et elle etait si contrariee qu'elle tomba sur ses jolis genoux de porcelaine.
– Une idee me vient, dit le ramoneur. Si nous grimpions dans cette grande potiche qui est la dans le coin nous serions couches sur les roses et la lavande y et pourrions lui jeter du sel dans les yeux quand il approcherait.
– Cela ne va pas, dit la petite. Je sais que le vieux Chinois et la potiche ont ete fiances, il en reste toujours un peu de sympathie. Non, il n'y a rien d'autre a faire pour nous que de nous sauver dans le vaste monde.
– As-tu vraiment le courage de partir avec moi, as-tu reflechi combien le monde est grand, et que nous ne pourrons jamais revenir?
– J'y ai pense, repondit-elle.
Alors, le ramoneur la regarda droit dans les yeux et dit:
– Mon chemin passe par la cheminee, as-tu le courage de grimper avec moi a travers le poele, d'abord, le foyer, puis le tuyau ou il fait nuit noire? Apres le poele, nous devons passer dans la cheminee elle-meme; a partir de la, je m'y entends, nous monterons si haut qu'ils ne pourront pas nous atteindre, et tout en haut, il y a un trou qui ouvre sur le monde.
Il la conduisit a la porte du poele.
– Oh! que c'est noir, dit-elle.
Mais elle le suivit a travers le foyer et le tuyau noirs comme la nuit.
– Nous voici dans la cheminee, cria le garcon. Vois, vois, la-haut brille la plus belle etoile.