Contes Merveilleux Tome II
Les Trois paresseux
Un roi avait trois fils qu’il aimait tous les trois d’un meme amour, si bien qu’il ne savait pas lequel designer pour etre le roi apres sa mort. Lorsque arriva son heure, le mourant appela ses fils a son chevet et leur dit:
– Mes chers enfants, il m’est venu une idee, et je vais vous la faire connaitre: c’est a celui de vous trois qui est le plus paresseux que reviendra le royaume.
– Pere, dit l’aine, le royaume me revient donc, car je suis tellement paresseux que si j’ai une goutte dans l’?il quand je me couche pour dormir, je n’arrive pas a dormir faute de pouvoir fermer les yeux.
– Pere, le royaume me revient, dit le second fils, car je suis si paresseux qu’en me mettant trop pres du feu pour me rechauffer, mes vetements brulent avant que j’aie eu le courage de reculer mes jambes.
– Pere, dit le troisieme, le royaume me revient parce que je suis si paresseux qu’a l’instant d’etre pendu, si quelqu’un me tendait un couteau pour couper la corde, je me laisserais mourir plutot que d’elever la main jusqu’au chanvre.
– C’est toi qui seras le roi, declara le pere, car c’est toi qui es alle le plus loin.
Les Trois plumes
Il etait une fois un roi qui avait trois fils: deux qui etaient intelligents et avises, tandis que le troisieme ne parlait guere et etait sot, si bien qu’on l’appelait le Beta. Lorsque le roi devint vieux et qu’il sentit ses forces decliner, il se mit a songer a sa fin prochaine et ne sut pas auquel de ses fils il devait laisser le royaume en heritage. Alors il leur dit:
– Partez, et celui qui me rapportera le tapis le plus beau sera roi apres ma mort.
Afin qu’il n’y ait pas de dispute entre eux, il les conduisit devant son chateau et souffla trois plumes en l’air en disant:
– La ou elles voleront, telle sera votre direction.
L’une des plumes s’envola vers l’ouest, l’autre vers l’est, quant a la troisieme elle voltigea tout droit a faible distance, puis retomba bientot par terre. Alors, l’un des freres partit a droite, l’autre a gauche, tout en se moquant du Beta qui dut rester pres de la troisieme plume qui etait tombee tout pres de lui.
Le Beta s’assit par terre et il etait bien triste. C’est alors qu’il remarqua tout a coup qu’une trappe se trouvait a cote de la plume. Il leva la trappe et apercut un escalier qu’il se mit a descendre. Il arriva devant une porte, frappe et entendit crier a l’interieur:
«Petite demoiselle verte,
Cuisse tendue,
Et patte de lievre,
Bondis et rebondis,
Va vite voir qui est dehors.»
La porte s’ouvrit et il vit une grosse grenouille grasse assise la, entouree d’une foule de petites grenouilles. La grosse grenouille lui demanda quel etait son desir.
– J’aimerais avoir le plus beau et le plus ouvrage des tapis, repondit-il.
Alors elle appela une jeune grenouille a qui elle dit:
«Petite demoiselle verte,
Cuisse tendue,
Et patte de lievre,
Bondis et rebondis,
Va vite voir qui est dehors.»
La jeune grenouille alla chercher la boite et la grosse grenouille l’ouvrit, y prit un tapis qu’elle donna au Beta, et ce tapis etait si beau, si ouvrage qu’on n’en pouvait tisser de pareil sur la terre, la-haut. Alors il remercia la grenouille et remonta l’escalier.
Cependant les deux autres freres estimaient leur cadet tellement sot qu’ils crurent qu’il ne trouverait absolument rien a rapporter. «Pourquoi nous fatiguer a chercher?», se dirent-il et la premiere bergere qu’il rencontrerent fit l’affaire: ils lui oterent son chale de toile grossiere et revinrent le porter au roi. Au meme moment le Beta rentra lui aussi, apportant son tapis magnifique. En le voyant, le roi fut etonne et dit:
– S’il faut s’en remettre a la justice, le royaume appartient au cadet.
Mais les deux autres ne laisserent point de repos a leur pere, lui disant qu’il etait impossible que le Beta, a qui la raison faisait defaut dans tous les domaines, devint le roi; ils le prierent donc de bien vouloir fixer une autre condition. Alors le roi declara:
– Celui qui me rapportera la plus belle bague heritera du royaume.
Il sortit avec ses trois fils et souffla les trois plumes qui devaient leur indiquer la route a suivre. Comme la premiere fois, les deux aines partirent l’un vers l’est et l’autre vers l’ouest, mais la plume du Beta s’envola tout droit et tomba a cote de la trappe. Alors, il descendit de nouveau voir la grosse grenouille et lui dit qu’il avait besoin d’une tres belle bague. La grenouille se fit aussitot apporter la grande boite, y prit une bague qu’elle donna au Beta, et cette bague, toute etincelante de pierres precieuses, etait si belle que nul orfevre sur la terre n’en aurait pu faire de pareille.
Les eux aines, se moquant du Beta qui allait sas doute chercher un anneau d’or, ne e donnerent aucune peine, ils devisserent les crochets d’une vieille roue de charrette et chacun apporta le sien au roi. Aussi, lorsque le Beta montra sa bague d’or, le pere declara de nouveau:
– C’est a lui que revient le royaume.
Les deux aines ne cesserent de harceler leur pere pour qu’il posat encore une troisieme condition: celui-ci decida donc que celui qui ramenerait la plus belle femme aurait le royaume. Il souffla une fois encore sur les trois plumes qui s’envolerent comme les fois precedentes.
Alors, sans plus se soucier, le Beta alla trouver la grosse grenouille et lui dit:
– Il me faut ramener au chateau la plus belle femme.
– He, la plus belle femme! repondit la grenouille. Voila une chose qu’on n’a pas immediatement a sa portee mais tu l’auras tout de meme.
Elle lui donna une carotte evidee et creuse a laquelle six petites souris etaient attelees.
– Que dois-je faire de cela? dit le Beta tout triste.
– Tu n’as qu’a y installer une de mes petites grenouilles, repondit-elle.
Il en attrapa une au hasard dans le cercle de celles qui entouraient la grosse grenouille, la mit dans la carotte, et voila qu’a peine assise a l’interieur, la petite grenouille devint une demoiselle merveilleusement belle, la carotte un vrai carrosse et les six petites souris des chevaux. Alors le Beta embrasse la jeune fille, se fit emporter au galop de ses six chevaux et amena la belle chez le roi. Ses freres arriverent ensuite: ils ne s’etaient donne aucune peine pour chercher une belle femme et ramenerent les deux premieres paysannes venues. Lorsqu’il les vit le roi declara:
– C’est au cadet que le royaume appartiendra apres ma mort.
Alors les deux aines se mirent de nouveau a rebattre les oreilles du roi de la meme protestation: «Nous ne pouvons pas admettre que le Beta devienne roi», et ils demanderent a ce que ce privilege revienne a celui dont la femme arriverait a sauter a travers un anneau qui etait suspendu au milieu de la grande salle. «Nos paysannes en seront bien capables, se dirent-ils, elles sont assez fortes, par contre la delicate demoiselle va se tuer en sautant.»