Contes Merveilleux Tome II
Le vieux roi ceda encore une fois a leur priere. Les deux paysannes prirent leur elan et certes elles sauterent a travers l’anneau, mais elles etaient si lourdes qu’en retombant elles se briserent bras et jambes. Ce fut alors le tour de la belle demoiselle que le Beta avait ramenee, et elle traversa l’anneau d’un bond aussi legerement qu’une biche: cela fit definitivement cesser toute opposition. C’est ainsi que le Beta recut la couronne et que longtemps il regna en sage.
Le Vaillant petit tailleur
Par un beau matin d’ete, un petit tailleur assis sur sa table et de fort bonne humeur, cousait de tout son c?ur. Arrive dans la rue une paysanne qui crie:
– Bonne confiture a vendre! Bonne confiture a vendre!
Le petit tailleur entendit ces paroles avec plaisir. Il passa sa tete delicate par la fenetre et dit:
– Venez ici, chere Madame! C’est ici qu’on vous debarrassera de votre marchandise.
La femme grimpa les trois marches avec son lourd panier et le tailleur lui fit deballer tous ses pots. Il les examina, les tint en l’air, les renifla et finalement declara:
– Cette confiture me semble bonne. Pesez-m’en donc une demi-once, chere Madame. Meme s’il y en a un quart de livre, ca ne fera rien.
La femme, qui avait espere trouver un bon client, lui donna ce qu’il demandait, mais s’en alla bien fachee et en grognant.
– Et maintenant, dit le petit tailleur, que Dieu benisse cette confiture et qu’elle me donne de la force!
Il prit une miche dans le buffet, s’en coupa un grand morceau par le travers et le couvrit de confiture.
– Ca ne sera pas mauvais, dit-il. Mais avant d’y mettre les dents, il faut que je termine ce pourpoint.
Il posa la tartine a cote de lui et continua a coudre et, de joie, faisait des points de plus en plus grands. Pendant ce temps, l’odeur de la confiture parvenait jusqu’aux murs de la chambre qui etaient recouverts d’un grand nombre de mouches, si bien qu’elles furent attirees et se jeterent sur la tartine.
– Eh! dit le petit tailleur. Qui vous a invitees?
Et il chassa ces hotes indesirables. Mais les mouches, qui ne comprenaient pas la langue humaine, ne se laisserent pas intimider. Elles revinrent plus nombreuses encore. Alors, comme on dit, le petit tailleur sentit la moutarde lui monter au nez. Il attrapa un torchon et «je vais vous en donner, moi, de la confiture!» leur en donna un grand coup. Lorsqu’il retira le torchon et compta ses victimes, il n’y avait pas moins de sept mouches raides mortes. «Tu es un fameux gaillard», se dit-il en admirant sa vaillance. «Il faut que toute la ville le sache.»
Et, en toute hate, il se tailla une ceinture, la cousit et broda dessus en grandes lettres – «Sept d’un coup». «Eh! quoi, la ville… c’est le monde entier qui doit savoir ca!» Et son c?ur battait de joie comme une queue d’agneau.
Le tailleur s’attacha la ceinture autour du corps et s’appreta a partir dans le monde, pensant que son atelier etait trop petit pour son courage. Avant de quitter la maison, il chercha autour de lui ce qu’il pourrait emporter. Il ne trouva qu’un fromage et le mit dans sa poche. Devant la porte, il remarqua un oiseau qui s’etait pris dans les broussailles; il lui fit rejoindre le fromage. Apres quoi, il partit vaillamment et comme il etait leger et agile, il ne ressentit aucune fatigue. Le chemin le conduisit sur une montagne et lorsqu’il en eut escalade le plus haut sommet, il y vit un geant qui regardait tranquillement le paysage.
Le petit tailleur s’approcha bravement de lui et l’apostropha:
– Bonjour, camarade! Alors, tu es assis la et tu admires le vaste monde? C’est justement la que je vais pour y faire mes preuves. Ca te dirait de venir avec moi?
Le geant examina le tailleur d’un air meprisant et dit:
– Gredin, triste individu!
– Tu crois ca, repondit le tailleur en degrafant son manteau et en montrant sa ceinture au geant.
– Regarde la quel homme je suis!
Le geant lut: «Sept d’un coup», s’imagina qu’il s’agissait la d’hommes que le tailleur avait tues et commenca a avoir un peu de respect pour le petit homme. Mais il voulait d’abord l’eprouver. Il prit une pierre dans sa main et la serra si fort qu’il en coula de l’eau.
– Fais-en autant, dit-il, si tu as de la force.
– C’est tout? demanda le petit tailleur. Un jeu d’enfant!
Il plongea la main dans sa poche, en sortit le fromage et le pressa si fort qu’il en coula du jus.
– Hein, dit-il, c’etait un peu mieux!
Le geant ne savait que dire. Il n’arrivait pas a croire le petit homme. Il prit une pierre et la lanca si haut qu’on ne pouvait presque plus la voir.
– Alors, avorton, fais-en autant!
– Bien lance, dit le tailleur; mais la pierre est retombee par terre. Je vais t’en lancer une qui ne reviendra pas.
Il prit l’oiseau dans sa poche et le lanca en l’air. Heureux d’etre libre, l’oiseau monta vers le ciel et ne revint pas.
– Que dis-tu de ca, camarade? demanda le tailleur.
– Tu sais lancer, dit le geant, mais on va voir maintenant si tu es capable de porter une charge normale.
Il conduisit le petit tailleur aupres d’un enorme chene qui etait tombe par terre et dit:
– Si tu es assez fort, aide-moi a sortir cet arbre de la foret.
– Volontiers, repondit le petit homme, prends le tronc sur ton epaule; je porterai les branches et la ramure, c’est ca le plus lourd.
Le geant prit le tronc sur son epaule; le tailleur s’assit sur une branche et le geant, qui ne pouvait se retourner, dut porter l’arbre entier avec le tailleur pardessus le marche. Celui-ci etait tout joyeux et d’excellente humeur. Il sifflait la chanson «Trois tailleurs chevauchaient hors de la ville» comme si le fait de porter cet arbre eut ete un jeu d’enfant. Lorsque le geant eut porte l’arbre pendant quelque temps, il n’en pouvait plus et il s’ecria:
– Ecoute, il faut que je le laisse tomber.
Le tailleur sauta en vitesse au bas de sa branche et dit au geant:
– Tu es si grand et tu ne peux meme pas porter l’arbre!
Ensemble, ils poursuivirent leur chemin. Comme ils passaient sous un cerisier, le geant attrapa le faite de l’arbre d’ou pendaient les fruits les plus murs, le mit dans la main du tailleur et l’invita a manger. Le tailleur etait bien trop faible pour retenir l’arbre et lorsque le geant le lacha, il se detendit et le petit homme fut expedie dans les airs. Quand il fut retombe sur terre, sans dommage, le geant lui dit: